RELIGIOLOGIQUES, 18 (automne 1998) Marges contemporaines de la religion


Croyance et objet d'art

Louise Lachapelle[1]

Abstract

Résumé

 

Dans un article où il propose son interprétation de l'autonomie de l'art dans la modernité, Guy Bellavance revient sur le concept d'anomie souvent utilisé par les sociologues[2]. La diversité des usages de ce concept désignerait, selon cet auteur, un «enjeu déterminant au sein du champ sociologique, le fameux rapport aux normes et aux valeurs, et par là, celui du sens en relation à l'organisation sociale[3]». Dans le cadre de sa réflexion, Bellavance met en évidence «une difficulté originelle de la sociologie, la confusion du moral et du social.» On toucherait «à travers l'art, à la limite [...] des approches sociologiques dans leur ensemble, [...] face aux "faits sociaux" en général, toujours plus ou moins imbriqués à une évaluation morale[4]», et face aux «faits moraux», toujours plus ou moins abordés comme des faits sociaux. Considérant que la sociologie de plus en plus s'approprie les termes dans lesquels se pense l'art contemporain, cette confusion du moral et du social m'apparaît problématique. Dans le même article, Bellavance évoque la redécouverte critique des fondements religieux de notre rapport à l'art, il démontre ainsi que le statut social de l'art et des artistes se constitue autour d'un «noyau dur de valeurs» étroitement lié à la tradition chrétienne : au cours de la modernité, «[i]l y a à la fois rivalité avec Dieu, et emprunt au système de Dieu[5]». Ce processus se traduit entre autres par la présence du lexique religieux dans le discours sur l'art. Bellavance lui-même évoquera d'ailleurs la métaphore religieuse pour problématiser la question de l'autonomisation sociale de l'art moderne. J'aimerais amorcer ici une réflexion sur ces emprunts au vocabulaire religieux dont fait usage le discours théorique sur l'art et l'objet d'art. Dans le cadre du présent article, mes observations se limiteront à la notion de croyance telle qu'on la retrouve chez Pierre Bourdieu, ainsi que dans certains travaux de la sociologue Nathalie Heinich et du philosophe Arthur Danto. Voilà trois démarches théoriques qui n'utilisent pas le lexique religieux essentiellement à des fins métaphoriques. Quoique sur des modes différents, ces auteurs ne cessent de réaffirmer la proximité des univers religieux et artistiques, ce qui sera considéré ici comme une invitation à penser la modernité autrement qu'en termes de ruptures, à considérer aussi la modernité de certaines continuités.

J'ouvrirai cette réflexion en me référant brièvement à la recherche historique de Jean Wirth sur l'origine du concept de croyance. Je voudrais ainsi suggérer que l'intérêt de ce mot ne relève pas tant de sa polysémie que des contradictions internes dont il aurait hérité. Comme le remarque Jean Wirth, «[l]e mot ne désigne pas plusieurs choses alternativement, mais plusieurs choses contradictoires à la fois[6]» L'usage de la notion de croyance pour désigner ou décrire des réalités propres à l'art contemporain s'avère lui aussi passablement équivoque. Sans doute conviendrons-nous que la réalité observée n'est pas exempte de contradictions, mais il importe de rappeler que celles-ci s'inscrivent dans une tradition culturelle qui les alimente encore. La démarche de Wirth plaide «la cause d'une histoire critique qui associe la compréhension du passé à la réflexion sur nos propres présupposés épistémologiques[7]». Il estime ainsi mettre en cause la situation de l'historien, on pourrait ajouter de l'anthropologue, du sociologue, du philosophe, du critique, de l'artiste..., puisque le lexique religieux auquel appartient le concept de croyance surgit dans plusieurs discours laïcisés de la modernité. Wirth dénonce aussi les références aux croyances qui ont pour but de masquer une difficulté d'interprétation et qui relèveraient alors de «l'impossibilité [...] de mettre en cause l'idéologie de sa propre société et la "raison" contingente dont [l'historien, l'anthropologue, le critique, l'artiste...] est le porte-parole[8]». On comprend que cette critique s'adresse à tout un pan des sciences humaines et à leur compréhension des sociétés archaïques. Mais la réflexion sur l'art ne peut davantage faire l'économie d'un tel questionnement des conceptions et des catégories auxquelles elle emprunte. Chez Bourdieu et Heinich, la notion de croyance sert principalement à dénoncer les mystifications de la «religion de l'art» ou à décrire les déplacements de certaines formes de l'organisation religieuse vers le monde artistique. Bien que je prenne acte des unes commes des autres, je pense qu'une interrogation sur le sens et la fonction de l'art aujourd'hui reste en marge de ces considérations sur la croyance qui pourtant semblent constamment la mettre en scène. À cette étape de la réflexion, il ne s'agit peut-être encore que de juxtaposer les motifs d'un questionnement &emdash; la croyance ou la méconnaissance collective, la croyance ou le régime normal de l'oeuvre d'art, la croyance ou la restauration d'une énigme &emdash; et à convier à discuter[9].

 

Wirth &emdash; la naissance du concept de croyance

Je crois qu'aujourd'hui plus que jamais l'Artiste a cette mission para-religieuse à remplir : maintenir allumée la flamme d'une vision intérieure dont l'oeuvre d'art semble être la traduction la plus fidèle pour le profane.

Marcel Duchamp, Duchamp du signe[10]

 

Le vocabulaire théologique médiéval est le point de départ de l'enquête de Wirth qui «s'arrête au XVIIe siècle, lorsque le vocabulaire moderne de la croyance est constitué pour l'essentiel[11]». Ce parcours historique montre que le «vocabulaire de la croyance a évolué depuis le moyen-âge, pour exprimer plus facilement la notion de croyance fausse». Aucun «mot latin [ne] joue vraiment le rôle du français moderne croyance» dans le vocabulaire théologique médiéval du XIIe siècle et selon Wirth, «ce que nous exprimons par ce mot ne répond à rien dans la pensée des docteurs. Le concept autour duquel s'organise [cette] anthropologie religieuse est celui qu'exprime fides en latin scolastique[12]». Tandis que le champ sémantique du mot fides s'accroît entre le IVe et le XIIe siècle de sorte que fides «désigne en même temps l'essentiel du lien religieux et l'essentiel du lien social (le serment, la vassalité)[13]», le mot croyance émergera d'une désolidarisation du religieux et du profane qui isole peu à peu la sacralité de la socialité. À partir du XIIe siècle, le concept de fides s'articule de plus en plus mal à la réalité des pratiques sociales. Au fur et à mesure que naissent les institutions profanes le «rapport d'équivalence générale entre le vocabulaire des institutions et le vocabulaire religieux[14]» cessera de se traduire sur le plan sémantique, alors qu'une part des significations se rapportera à l'institutionnel (ceci incluant dorénavant l'organisation religieuse), et qu'une autre concernera toujours le spirituel ou le moral.

L'analyse de Wirth démontre que l'évolution du mot fides se fera «non pas vers le sens moderne de foi, mais vers celui de croyance[15]». Du XVIe au XVIIe siècle s'introduit en effet «la distinction entre foi et croyance, qui réserve[ra] au mot foi le sens d'une vérité religieuse transcendantale dont se prévaut le locuteur face aux croyances des autres.[16]» De sorte qu'au «début de l'ère moderne s'est [...] constitué une notion de croyance extrêmement large et contradictoire. Il s'agit à la fois d'une conviction intérieure de l'individu, de l'adhésion publique à une orthodoxie, d'un don de Dieu et de n'importe quelle superstition.[17]» En somme, le concept de croyance porte les traces de ces modifications de l'ordre social et de son rapport au sens, de ces tensions qui mettent en jeu à la fois le plan moral et le plan social, les valeurs et la doxa, l'autorité et le spirituel. Non seulement la désignation simultanée du lien religieux et du lien social est-elle rompue, mais face à la relativité humaine s'installe une hiérarchisation des vérités. Aujourd'hui encore, la notion de croyance désigne plusieurs choses contradictoires à la fois. Comme une part de ce qui s'oppose en elle relève justement de cette relation trouble entre le sens et l'organisation sociale, il est d'autant plus intéressant de la retrouver dans le discours sociologique sur l'art.

Lorsqu'il tente de «penser le concept historiquement variable de l'image [médiévale] et de [sa] réalisation matérielle», Wirth explique que la «naissance» de l'image[18] médiévale repose sur une conception spiritualiste de l'image qui réhabilite «la matière comme signe du spirituel[19]». Comme l'avait aussi observé Georges Duby à propos de l'art des cathédrales, Wirth constate qu'entre les XIe et XIIIe siècles, l'art devient un instrument de prédication et d'édification essentiel à cette période de mouvance sociale qui «entraîne un besoin accru de symbolisme [dont] l'Église [...] garde la maîtrise[20]» : l'art coopère à la liturgie de l'incarnation, «[l]'image religieuse devient [...] le lieu par excellence de la production du sacré[21]». Ainsi les relations entre institutions profanes et religieuses génèrent à leur tour l'institution d'un nouveau système : un système esthétique extrêmement cohérent lié non seulement au système religieux, mais à l'ensemble du système social, l'image étant dorénavant «un rouage essentiel dans le vaste mécanisme instable du système social» médiéval[22]. Que permettent d'isoler ces trop brèves références aux travaux de Wirth en vue de la compréhension du rapprochement de la croyance et de l'objet d'art chez Bourdieu, Heinich et Danto? D'abord, que la naissance du concept de croyance et les «nouvelles» fonctions de l'acte artistique semblent s'inscrire dans un unique mouvement de désolidarisation du religieux et du profane. Ensuite, le fait que dans ce processus, l'art n'apparaisse pas nécessairement comme un lieu de rupture. Inscrit dans un espace charnière créé par la complexification des modes d'organisation sociale, il semble lui-même correspondre à un espace où s'éprouvent diverses modalités du sens.

 

Bourdieu &emdash; la méconnaissance collective

L'analyse du discours critique sur les oeuvres d'art est en effet à la fois un préalable critique à la science des oeuvres et une contribution à la science de la production des oeuvres comme objets de croyance.

Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art[23]

 

Dans un passage des Règles de l'art, Pierre Bourdieu critique l'histoire de la théorie esthétique et de la philosophie de l'art qu'il trouve trop «étroitement liée [...] à l'histoire des institutions propres à favoriser l'accès à la délectation pure et à la contemplation désintéressée.» Il soutient que «les écrits théoriques que l'histoire de la philosophie traditionnelle traite comme des contributions à la connaissance de l'objet sont aussi et surtout des contributions à la construction sociale de la réalité même de cet objet, donc des conditions théoriques et pratiques de son existence». Il suggère donc de refaire une histoire de l'esthétique pure et de «montrer par exemple comment les philosophes professionnels ont importé dans le domaine de l'art des concepts originellement élaborés dans la tradition théologique, notamment la conception de l'artiste comme "créateur" doté de cette faculté quasi divine qu'est l'"imagination"[24]». Cette démarche critique que propose le sociologue laisse perplexe lorsqu'on considère la position ambiguë de Bourdieu qui lui-même emprunte abondamment au vocabulaire de la magie et du mythe comme à celui de la religion les mots clefs et les catégories conceptuelles de sa propre théorie du champ, notamment, la notion de croyance. La relation entre les travaux de Bourdieu et ceux de Marcel Mauss ne peut justifier que le sociologue tente de «penser l'art» en termes de magie ou de religion. Sans vouloir sous-estimer cet effet de la «tradition sociologique», j'aimerais considérer la question sous un autre angle. On a souvent décrit la démarche de Bourdieu comme une entreprise cynique, une entreprise de désenchantement. Dans Raisons pratiques par exemple, il évoque ses propres efforts de «rupture avec une vision enchantée, et mystificatrice, des conditions humaines.[25]» Est-ce à dire que le point de vue de Bourdieu est lui-même soumis au pouvoir «magique» de son objet, au charme propre d'un objet d'étude en constante redéfinition? Même une brève comparaison des écrits du sociologue est révélatrice à cet égard, puisqu'on y retrouve plusieurs reformulations du projet bourdieusien qui s'énoncent en ces termes : La science des oeuvres d'art aura pour objet... Cette redéfinition prend cependant la forme d'un recul stratégique face à la question du sens, elle privilégie la construction sociale de réalités abordées principalement sur le plan organisationnel et selon l'angle des luttes de pouvoir. Sans doute le vocabulaire religieux de Bourdieu s'inscrit-il dans un projet critique élaboré en réaction à l'idéologie artistique moderniste que l'on associe à une vision héroïque de l'art et au mythe du génie créateur. Et bien qu'il favorise, quoique d'une manière assez paradoxale, une certaine redécouverte des fondements religieux de notre rapport à l'art, ce recours au lexique de la religion et de la magie pose des problèmes pratiques et critiques qui ne sont pas sans liens avec la réflexion de Bellavance évoquée en introduction, car ce projet de dénonciation des illusions donne lieu à un «repliement» du moral vers le social. C'est ce que permet d'observer la notion de croyance chez Bourdieu.

 

Objet de croyance

[...] c'est à condition de prendre pour objet le projet créateur comme rencontre et ajustement entre les déterminismes et une détermination que la sociologie de la création intellectuelle et artistique peut dépasser l'opposition entre une esthétique interne, qui s'impose de traiter l'oeuvre comme un système portant en lui-même sa raison et sa raison d'être, définissant lui-même [...] les principes et les moyens de son déchiffrement, et une esthétique externe qui, [...] s'efforce de mettre l'oeuvre en rapport avec les conditions économiques, sociales et culturelles de la création artistique.[26]

 

Le programme de cette sociologie de la création s'annonce ici comme un projet de réconciliation entre deux modalités de réception critique des oeuvres et il repose, semble-t-il, sur l'étude du projet créateur : «Le projet créateur est le lieu où s'entremêlent et parfois se contrarient la nécessité intrinsèque de l'oeuvre qui demande à être poursuivie, améliorée, achevée, et les contraintes sociales qui orientent l'oeuvre du dehors[27]». Volià entre autres ce qui fait du «domaine des arts [...] l'un des champs de pratique sociale où les tensions sont les plus vives, et les heurts les plus fréquents, entre [les] réalités de l'organisation et le champ des aspirations aux valeurs qui le fonde comme domaine légitime d'activité», entre action sociale et action éthique[28]. Sans renoncer tout à fait à cette orientation «génétique» liée au projet créateur, Bourdieu déplacera son attention vers la production de la valeur de l'oeuvre d'art, considérant dès lors que sa méthodologie et son objectif de scientificité s'inscrivent en opposition avec ce qui correspond selon lui à un phénomène de croyance : «L'idéologie charismatique qui est au principe même de la croyance dans la valeur de l'oeuvre d'art, donc du fonctionnement même du champ de production et de circulation des biens culturels, constitue sans doute le principal obstacle à une science rigoureuse de la production de la valeur des biens culturels.[29]» Ce passage du célèbre article de Bourdieu est repris dans un chapitre des Règles de l'art intitulé «Le marché des biens symboliques», un titre qui annonce un autre glissement dans la définition de l'objet de cette science des oeuvres d'art. Ainsi le projet d'une sociologie de la création artistique est-il réalisé par le développement d'une sociologie de la production de la croyance qui se retrouve face au même problème, un problème aussitôt suspendu : on peut mettre en suspens l'idéologie charismatique de la "création"» &emdash; l'obstacle qu'il représente étant traité comme un interdit &emdash;, cette idéologie interdit «de demander qui a créé ce "créateur" [le producteur apparent de la valeur des biens culturels] et le pouvoir magique de transsubstantiation dont il est doté»; elle détournerait «de rechercher au-delà de l'artiste et de son activité propre les conditions de cette capacité démiurgique.[30]» Mais le sociologue enfreint cet interdit donnant ainsi plus de poids à ses arguments et de légitimité à sa propre solution : la théorie du champ. Contrairement à son projet initial, Bourdieu ne dépasse donc pas l'opposition entre les caractéristiques formelles et signifiantes de l'oeuvre d'art et les conditions sociales de la création artistique, il la radicalise. La notion de projet créateur se voit ainsi réduite au projet d'être socialement reconnu ou de se faire une réputation, les diverses formes de motivation sociale individuelle étant souvent ramenées, chez Bourdieu, à des questions d'intégration sociale, de pouvoir et d'influence. La comparaison des nombreuses (re)définitions du projet bourdieusien témoigne du fait que l'auteur modifie sa vision du projet créateur et déplace son point de vue critique de manière à légitimer son propre questionnement et à contourner le problème d'interprétation que lui pose l'art, de sorte que l'on retrouve dans le discours du sociologue certaines tensions ou contradictions observées plus tôt à propos de la naissance du concept de croyance.

 

Croyance fausse

«Qu'est-ce qui fait que l'oeuvre d'art est une oeuvre d'art [...]? Qu'est-ce qui fait d'un artiste un artiste [...]? Qui, en d'autres termes, a créé le "créateur" en tant que producteur reconnu de fétiches? Et qu'est-ce qui confère son efficacité magique à son nom [...]? [...] Qui, [...] produit le sacré? [31]» Ce passage, qui traite de l'efficacité de la signature de l'artiste, est un exemple de l'intrication des lexiques de la magie et de la religion chez Bourdieu qui rapproche lui-même ses interrogations de celles développées par Mauss dans son Essai sur la magie[32]. Mais là où Mauss insiste sur la nécessité d'une approche «pluridisciplinaire», Bourdieu reconduit le positivisme méthodologique de sa propre discipline[33]. Pour en finir avec cette foi dans le créateur le sociologue fermera la question : «Il est vain de chercher ailleurs que dans le champ [...] le principe du pouvoir créateur, cette sorte de mana ou de charisma ineffable que célèbre la tradition[34]», puisque «[l]e producteur de la valeur de l'oeuvre d'art n'est pas l'artiste mais le champ de production en tant qu'univers de croyance qui produit la valeur de l'oeuvre d'art comme fétiche en produisant la croyance dans le pouvoir créateur de l'artiste[35]». De l'individu créateur d'un objet au champ producteur de croyance, à nouveau on observe un déplacement du problème que pose l'idéologie charismatique, mais aucune résolution. Point de fuite de la réflexion de Bourdieu? Encore une fois, le recours à un lexique aussi fortement marqué que celui de la magie et de la religion. L'utilisation de la notion de croyance pour traiter de la réalité sociale de l'objet d'art du point de vue de la production ou de la réception publique des oeuvres ressemble à une voie d'évitement, d'autant plus que la croyance est considérée chez Bourdieu essentiellement comme une méconnaissance collective, collectivement produite et reproduite. La référence à la croyance comporte ici un jugement moral à l'égard de pratiques sociales dont la signification est par ailleurs peu explorée, si ce n'est sur le plan organisationnel.

Ce repli du sociologue face à son propre projet de science des oeuvres d'art me donne à penser que Bourdieu se dérobe d'une certaine manière face au problème de la signification sociale de l'oeuvre d'art qu'il prétend pourtant soulever. Cette entreprise se révèle alors comme la quête d'un chercheur fasciné qui, d'un côté souhaite que quelque chose échappe à sa propre systématisation, et de l'autre, se soustrait à la nécessité de penser cette fascination, comme à sa propre exigence méthodologique qui lui imposerait pourtant de questionner ces concepts «importés» d'un domaine à l'autre, ces catégories critiques originellement élaborées ailleurs, notamment ce lexique religieux et magique utilisé ici à des fins de dévoilement des mystifications sociales alors qu'il appartient à une tradition dont la constitution du social était intrinsèquement religieuse, magique ou esthétique. Après ou contre le Dieu créateur, l'artiste créateur, voici le champ producteur de créateurs et de croyance. Quelle est la constante ici? Pourquoi n'est-elle pas interrogée? Le choix des termes créateur et croyance n'est pas neutre. Ces choix s'expliquent peut-être par l'héritage de la tradition disciplinaire et par sa méthodologie (critiquable et critiquée), ou par le projet critique d'un théoricien qui renonce à comprendre l'art autrement que sur le plan organisationnel ou en tant qu'idéologie compensatrice. Bourdieu estime avoir substitué à «la question ontologique la question historique de la genèse de l'univers au sein duquel se produit et se reproduit sans cesse [...] la valeur de l'oeuvre d'art, c'est-à-dire le champ artistique.[36]» Mais il tend souvent à projeter cette description de l'autonomisation du champ artistique sur le plan ontologique en lui donnant une valeur de définition universelle de l'art en tant qu'art. Rabattement du social sur le moral; négation ou résolution apparente de la tension éthique? Chose certaine, un premier exemple de la présence problématique de la notion de croyance dans l'actuel discours sur l'art.

 

Heinich &emdash; la croyance, régime normal de l'oeuvre d'art

[...] l'art devenu la sphère où peuvent désormais se projeter des attentes traditionnellement assumées par la religion. Désertant les églises pour emplir les musées, l'art n'est plus, comme au Moyen Âge, l'instrument, mais l'objet de la sacralisation.

Nathalie Heinich, Être artiste[37]

 

Selon Nathalie Heinich, le rôle de la référence religieuse dans le monde de l'art aujourd'hui n'est plus simplement d'ordre métaphorique. Dans son propre travail de recherche, il ne s'agit pas non plus d'une pratique mystificatrice ou démystifiante, ni d'une matrice explicative. La sociologue observe plutôt le déplacement de «phénomènes dont le culte religieux n'est rien d'autre qu'une forme historiquement dominante[38]», c'est-à-dire le déplacement de certaines conduites religieuses vers le domaine de l'art par lesquelles se composent la singularité; singularisation de l'individu, saint, héros ou génie ou encore, singularisation de l'objet[39]. Heinich développe cette réflexion sur l'objet d'art dans un article dont le titre annonce déjà les motifs du rapprochement qu'elle tentera : «Les objets-personnes : Fétiches, reliques et oeuvres d'art[40]». Ici encore se croisent les références à la magie, à la religion et à l'art, mais cette fois la rencontre a lieu autour d'une proposition. Selon Heinich les objets «oscillent» généralement entre deux grands types de traitement : le régime des choses et le régime des personnes. Elle démontre ainsi qu'il est nécessaire de «détacher la notion de personne de la notion d'humain et corrélativement, la notion d'objet de la notion de chose[41]», et retient surtout le critère d'insubstituabilité pour distinguer ces deux régimes. La notion de personne ne serait pas une essence, selon cette auteure, mais une fonction qui rend un être insubstituable. La «condition minimale d'un tel traitement, c'est le travail de particularisation susceptible de rendre un être insubstituable [...] telles les opérations aboutissant au catalogage pour les objets, au pedigree pour les animaux, et à l'état civil pour les humains.[42]» Selon Heinich, cette fonction-personne serait à la base de la catégorie des objets-personnes auxquels appartiennent le fétiche, «en tant qu'il agit comme une personne», la relique, «en tant qu'[elle] a appartenu à une personne [à un grand singulier]», et l'oeuvre d'art, «en tant qu'[elle] est traité[e] comme une personne[43]». Remarquons qu'à propos de chacun de ces objets-personnes, il sera question de pouvoirs ou de valeurs symboliques auxquels on croit. Le fait de réunir dans la même réflexion les objets de la magie, de la religion et de l'art n'a certainement rien de fortuit, mais le sens de cette relation reste à penser puisque les considérations de Heinich sur les fétiches et les reliques ont principalement pour but d'installer les termes d'un problème qu'elle recentre autour de l'objet d'art. Quelles sont les opérations qui font d'un être ou d'un objet, une personne? En quoi les oeuvres d'art sont-elles traitées comme des personnes? C'est à partir de ces interrogations que Heinich cherchera à «comprendre comment s'opère cette constitution de l'oeuvre &emdash; ce que les sociologues appellent une construction sociale de la réalité[44]». À une approche d'historien de l'art fondée sur des critères esthétiques ou à une approche sociologique dans l'esprit des théories du champ, Heinich préférera une approche anthropologique «consistant à rappeler succinctement les opérations formelles permettant de faire entrer durablement et consensuellement un objet dans la catégorie des oeuvres d'art[45]» et dans ce qu'elle désigne aussi comme son régime normal, le régime de la croyance. Outre qu'elle fait appel à la problématique de la croyance, la démarche de Heinich doit son intérêt à son «ouverture d'esprit» dans la mesure où l'association magie, religion, art y apparaît «naturelle» si on peut dire. Là où elle pose problème, c'est lorsque les opérations appelées à constituer l'oeuvre d'art sont ramenées aux opérations de catalogage, à des opérations qui consistent à particulariser à partir de paramètres généraux, dans le but de servir l'hypothèse de leur homologie structurelle avec les opérations d'enregistrement civil, ce qui évidemment appuie l'idée mise de l'avant par Heinich à propos des oeuvres d'art comme objets-personnes. Ma deuxième réserve concerne la redondance de la démonstration de Heinich. L'examen de cette redondance permettra néanmoins de considérer la problématique croyance et objet d'art à la lumière d'un second contexte de réflexion théorique avant d'amorcer un nouveau déplacement qui cette fois orientera le questionnement vers la problématique de l'interprétation.

 

Objet de croyance

Le caractère redondant de la démonstration de Heinich pourrait être illustré par la formule qui introduit son argumentation : «Que le statut normal de l'oeuvre d'art soit d'être traitée comme une personne, on le constate d'abord négativement, lorsque ce n'est pas le cas, c'est-à-dire lorsque l'oeuvre est traitée comme une simple chose[46]». L'auteure fait ainsi l'économie d'une explication de ce qui distingue l'oeuvre d'art des autres objets-personnes ou encore, de ce qui fait de cet objet-personne une oeuvre d'art, si ce n'est le fait qu'elle soit traitée comme une personne, ce qui est parfois le cas du fétiche et de la relique dont Heinich n'envisage pas la possibilité qu'ils soient aussi des oeuvres d'art[47]. Heinich emprunte plutôt à George Didi-Huberman une distinction qui lui paraît utile puisqu'elle «permet d'ordonner aussi bien des conduites relevant de l'anthropologie de la religion que de l'anthropologie de l'art», il s'agit de la distinction entre régime tautologique et régime de croyance[48]. Heinich remarque en effet que les différentes «opérations de "réification", par lesquelles l'oeuvre d'art est perçue ou utilisée comme cette chose matérielle qu'elle est aussi, relèvent [du] régime de "tautologie"[49]» qu'elle associe (mais ne devrait pas limiter) à «la posture cynique ou critique [qui] consiste à réduire un objet à sa matérialité spatiale[50]». Tandis que les opérations analogues à «celles qui attestent l'appartenance d'un être à la catégorie des personnes» feraient entrer un objet dans la catégorie des oeuvres d'art, c'est-à-dire qu'elles feraient en sorte que l'objet d'art échappe «à la réduction tautologique à l'état de chose pour entrer dans son régime "normal" [...] celui de la croyance[51]». Selon Heinich, ce traitement normal qui consiste à croire augmente «l'objet de significations extrinsèques à sa matérialité[52]». Ici, Heinich semble s'engager davantage que ne le fait Bourdieu vers la question du sens social de l'objet d'art, mais au sujet de cette «norme», elle se bornera à reconnaître une forme religieuse de rapport à l'objet. Le champ des significations se voit donc à nouveau restreint à l'art en tant art. Ce «surplus» de sens auquel on croit, c'est la valeur d'oeuvre d'art de l'oeuvre d'art. Comme «[l]es valeurs artistiques contemporaines [...] sont d'emblée des valeurs d'incertitude [elles posent] un problème quasi immédiat de reconnaissance[53]». Face à cette incertitude, la signification et la valeur de l'oeuvre d'art sont associées chez Heinich «à une temporalisation et, notamment, à un investissement de la postérité[54]» qui transforment l'objet en un instrument de salut moral. Mais considérer le passage d'un régime tautologique à un régime de croyance comme l'entrée dans la norme n'explique pas le processus par lequel un objet est identifié comme oeuvre d'art, sinon à limiter ce phénomène à un effet organisationnel, à un système artistique, à un monde de l'art qui, consensuellement, définit les critères de l'identification artistique sur le modèle du religieux. Il faut donc revenir sur l'usage que fait Heinich des notions de tautologie et de croyance empruntées à Georges Didi-Huberman, car s'il est vrai que cet auteur montre que l'une est l'inverse de l'autre, tout son propos se refuse à les opposer. Didi-Huberman estime que la tautologie comme la croyance «fixe les termes en produisant un leurre de satisfaction», un leurre de certitude[55]. Sans prétendre résumer la réflexion de cet auteur, il importe de situer ces deux notions dans un contexte où elles servent à penser l'oscillation de notre rapport à l'art, à l'objet d'étude ou au monde, en somme, ce que Didi-Huberman appelle le point d'inquiétude[56]. Chez Heinich, le régime de croyance est «constitutif de l'oeuvre d'art dès lors qu'elle est considérée comme telle[57]». Si la croyance fait partie de l'oeuvre dès que l'objet est considéré comme une oeuvre, qu'est-ce qui opère cette constitution? La redondance de la démonstration de Heinich laisse entendre que le régime de croyance vient résoudre, sur le plan des conduites normales, un problème qui se pose aussi sur le plan des valeurs incertaines, et dont il faudrait peut-être encore s'inquiéter. En opposant ces deux régimes, Heinich reproduit en quelque sorte la traditionnelle opposition spirituel-matériel que tentait de «surmonter» l'image médiévale en devenant signe du spirituel, plutôt qu'objet de croyance.

 

Les croyants

La fin de l'article de Heinich m'apparaît décevante. Voulant sans doute soustraire sa propre posture de recherche du régime de croyance, Heinich en vient à postuler une certaine transparence de l'interprétation anthropologique qui justement en ce qu'elle augmente l'objet de significations devrait aussi être considérée comme une des modalités de la croyance. Heinich considère plutôt que penser la fonction-personne dans la perspective ouverte par ces objets singularisés que sont les oeuvres d'art est une proposition théorique qui modifie la posture du chercheur. Ce dernier «s'interdit de s'interroger sur ce qu'est le monde [...], autant que sur ce qu'il devrait être, [...] ne prend pas position sur la nature [...] de l'existence du concept, mais se contente d'observer la façon dont il est conçu par les gens ordinaires et savants [en cela le chercheur ne serait] ni "croyant" ni "tautologiste" ni "réaliste" ni "nominaliste" mais, seulement, anthropologue, autrement dit observateur et analyseur des idées des autres[58]». L'interprétation, anthropologique ou autre, met en jeu la problématique de la croyance. Dans quelle mesure les présupposés, les déterminismes de recherche et autres catégories interprétatives doivent-ils être considérés comme des croyances mises en relation avec un objet d'étude lui-même déjà défini et transformé par un certain nombre de croyances plus ou moins différentes? Face à cette question, l'éthique de l'interprétation que propose Raymond Lemieux est éclairante. Elle rappelle d'ailleurs la pensée de l'oscillation de Didi-Huberman, car elle repose à la fois sur la construction de la distance entre le chercheur et son objet, et sur sa participation, le chercheur étant nécessairement lié subjectivement à l'objet interprété, «l'objet ne fait pas problème parce qu'il est réel, mais bien en ce qu'il renvoie au sujet[59]». Dès lors, répondre à cette exigence éthique de l'interprétation, c'est reconnaître que «[l]a méthode &emdash; quel que soit le type de connaissance auquel on aspire, scientifique ou autre &emdash;, génère ce que l'on voit, donc l'objet tel qu'il se livre à la connaissance. Elle dépend évidemment de ce que l'on veut voir[60]» &emdash; ou croire? Ne serait-ce que croyance méthodologique. Associée au régime de l'amour de l'art, c'est-à-dire à une organisation religieuse du monde artistique et du rapport aux oeuvres, la croyance chez Heinich, attribue à l'objet «des significations ou des pouvoirs spécifiques &emdash; plastiques, émotionnels, allégoriques ou symboliques[61]». La problématique de l'interprétation semble donc se situer au coeur de la relation croyance et objet d'art. On la retrouvera maintenant chez Arthur Danto.

 

Danto &emdash; la restauration d'une énigme

Donc, par nos pratiques, nous nous référons au monde plutôt qu'à nos croyances, et nous avons l'impression que nous décrivons la réalité et non pas que nous nous confessons.

Arthur Danto, La Transfiguration du banal[62]

 

Dans La Transfiguration du banal, Arthur Danto se donne pour but de déterminer l'essence de l'art et la spécificité de l'oeuvre d'art par rapport aux entités non-artistiques, ce faisant, il détache la définition de l'art de la question de l'identification de l'oeuvre : une définition de l'art «ne saurait nous fournir une pierre de touche pour reconnaître les oeuvres d'art[63]». Comme le souligne Jean-Marie Schaeffer en préface, si Danto peut soulever de telles questions «c'est parce que l'art lui-même a évolué de manière à interroger sa propre essence ([Danto] se réfère ici aux oeuvres de Duchamp et surtout de Warhol)[64]», en somme à l'art moderniste davantage qu'à l'art contemporain. Détacher ces deux questions s'inscrit donc dans une histoire qui révèle certaines des conditions et des conventions qui jouent à toutes époques sur le statut de l'objet d'art et, par conséquent, mettent en question la fonction, le sens et la définition de l'art. Dans le contexte de la présente réflexion sur l'art et la croyance, la juxtaposition des motifs de la magie, de la religion et de l'art que l'on a constaté chez Bourdieu et Heinich retient à nouveau mon attention. Chez Danto, elle comporte cependant la reconnaissance d'une filiation explicite dans le cas de la magie, et l'approfondissement d'une analogie religieuse dont la référence à la transfiguration dès le titre de l'ouvrage, pour décrire le processus de transformation de l'objet banal en objet d'art, ne fait qu'annoncer l'importance. Ayant démontré que nous ne réagissons pas aux oeuvres d'art comme nous réagissons aux simples objets et que cette réaction présuppose un processus cognitif qui distingue l'un et l'autre et ce, même s'ils sont perceptuellement indiscernables[65], Danto aborde le problème de la nature de l'interprétation artistique, ce qui permet de mesurer l'importance de la problématique de l'interprétation dans sa propre vision de l'art d'une part, et la relation que celle-ci entretient avec la croyance d'autre part. C'est au chapitre intitulé : «Interprétation et identification» que seront consacrées les remarques qui suivent.

 

Objet de croyance

Pour Danto, l'«interprétation appartient de manière analytique au concept d'oeuvre d'art». C'est l'interprétation qui fait en sorte que l'on passe du «domaine des simples objets à celui de la signification.[66]» On reconnaît certaines similitudes entre les démarches de Danto et de Heinich, remarquons cependant que le régime des choses se distingue ici du régime de l'interprétation plutôt que de celui de la croyance. Danto nous met en garde contre l'assimilation automatique de cette «distinction entre l'interprétation et l'objet à l'opposition traditionnelle entre le contenu et la forme[67]». L'oeuvre est une forme interprétée et interpréter une oeuvre pour le philosophe, c'est «proposer une théorie concernant ce à propos de quoi elle est, donc concernant son sujet[68]». D'où cette notion importante de la pensée de Danto, l'aboutness (l'à-propos-de)[69] : la question du sens appartient à l'oeuvre d'art; «les oeuvres d'art sont par définition à propos de quelque chose». Alors que les simples objets «sont dépourvus d'à-propos-de», les oeuvres d'art «possède[nt] un contenu, un sujet, une signification.[70]» De sorte que l'identification transfigurative de l'objet d'art depuis l'objet banal repose ici sur l'interprétation de cette structure intentionnelle. Danto attribue ainsi au critère d'interprétabilité une propriété de différenciation, et à l'interprétation, une fonction constituante qui la distingue de l'interprétation explicative ou de l'herméneutique, celles-ci n'étant possibles qu'une fois l'objet constitué en oeuvre. L'interprétation artistique serait donc d'abord constituante : «l'objet n'est pas une oeuvre d'art avant cet acte». Remarquons maintenant de quelle manière Danto décrit cette transfiguration du banal qu'opère l'interprétation : «L'interprétation est une procédure de transformation : elle ressemble à un baptême, non pas en tant qu'il confère un nom, mais en tant qu'il confère une nouvelle identité qui fait accéder le baptisé à la communauté des élus[71]». L'analogie religieuse déborde ici le strict usage du vocabulaire, Danto évoque le rituel du baptême et avec lui, certaines valeurs et significations spirituelles qu'une collectivité reconnaît à des actions spécifiques ou à certains objets et ce, même si la nature de ces actions ou de ces objets n'a plus, pour cette collectivité, un caractère d'évidence, mais plutôt une valeur de convention, condition d'une certaine cohésion collective devant un mystère plus profond. Sur le plan de la référence religieuse, on mesure l'écart qui sépare Danto de Bourdieu chez qui elle a presque toujours une fonction critique, voire négative. Le baptême n'est pas davantage une commodité métaphorique qui permettrait à Danto de contourner l'exigence de penser notre rapport à l'art autrement qu'en fonction de cette tendance à la spiritualisation &emdash; et son pendant, la tendance à la réification &emdash; qui caractérisent plusieurs réflexions sur l'art dont celles de Bourdieu, avec l'idéologie charismatique; et de Heinich, avec «la projection de comportements religieux sur des valeurs artistiques[72]». De l'objet banal à l'oeuvre d'art, l'objet n'entre pas dans le domaine de la croyance comme chez Heinich, mais dans celui de la signification, c'est-à-dire que le régime normal ne consisterait pas d'abord à croire, mais à interpréter. Quelle serait la nuance? Peut-être relève-t-elle de ce qui sépare les opérations de catalogage de Heinich du baptême de Danto. Pour expliquer la nature de ce «levier logique grâce auquel un simple objet accède au rang d'oeuvre d'art[73]», c'est-à-dire l'acte d'identification artistique, Danto développe l'analogie religieuse de même que la relation à la magie sur la base d'une référence au langage. L'«utilisation identificatoire de la copule "est"» représente linguistiquement l'identification artistique. «Le "est" de l'identification artistique [...] a une fonction transfigurative et s'apparente à l'identification magique [...] [Danto donne l'exemple du fétiche], [à] la transfiguration mythique qui fait dire que le Soleil est le char de Phébus [...], [à] l'identification religieuse, comme lorsque l'on dit que l'hostie et le vin sont la chair et le sang, et [à] l'identification métaphorique, d'après laquelle, par exemple, Juliette est le Soleil (mais non pas le char de Phébus [...] )[74]». Pas question ici d'un déplacement des conduites religieuses ou magiques, d'un investissement religieux des personnes ou des objets sur le mode de la singularisation, mais d'un «lien de parenté» qui implique non seulement la reconnaissance des communes origines de la magie, de la religion et de l'art, mais avec elle, quelque chose qui ressemble à la restauration d'une énigme. En effet, que penser de la remarque qui clôt ce développement? «Toutes ces identifications sont évidemment compatibles avec le fait que littéralement elles sont fausses, mais à l'exception de l'identification métaphorique elles se distinguent de l'identification artistique sur un plan pragmatique : celui qui réalise une identification magique, mythique ou religieuse a intérêt à ne pas croire qu'elle est littéralement fausse[75]». Ces identifications possèderaient-elles une valeur de vérité autre? Lorsqu'on en fait une interprétation littérale, par exemple lorsqu'on leur accorde le traitement propre au régime tautologique, aucune de ces identifications n'est transfigurative, la signification se rabat sur le matériau si l'on peut dire. Si l'interprétation constitue l'oeuvre d'art, l'identification qui permet cette transfiguration de l'objet en oeuvre ne repose-t-elle pas sur un type de croyances semblable à celles qui constituent la relique ou le fétiche, quoique d'un objet à l'autre on ne réponde pas de la même manière à la question de savoir à quoi l'on croit? Danto explique cette relation à nos croyances : «en général on ne dit pas qu'on croit que s; on agit tout simplement comme si s était vrai, et donc comme si le monde était ainsi fait.[76]» De sorte que le fait de dire que cet objet est une oeuvre d'art suppose une certaine transparence de la croyance et, contrairement à la notion de croyance comme méconnaissance ou comme croyance fausse (Bourdieu), on accorderait ici à la croyance une certaine valeur de vérité dans la mesure où l'identification artistique entraîne une action &emdash; on agit comme si &emdash; la croyance entraîne ici une pratique interprétative; non pas une conduite religieuse de singularisation des objets ou des personnes (Heinich), mais une quête de sens. S'agit-il du retour, sur un autre mode, de ces tensions entre vérité transcendantale et organisation sociale qui distinguèrent les mots fides et croyance?

Sur le plan pragmatique, Danto distingue les identifications magique, mythique et religieuse de l'identification artistique sur la base d'une référence à la croyance, à l'intérêt que l'on a à ne pas croire que l'identification est fausse. À partir du moment où l'on croit que l'identification est fausse, la participation mystique n'est plus qu'une action rituelle; l'acte magique une activité substitutive; et la vision mythique du monde, une simple métaphore. Certaines significations se retirent de l'action, du geste, de la relation à l'objet et de l'objet lui-même qui ne sont plus, dès lors, des vecteurs de signification, mais essentiellement les facteurs de cohésion sociale et les conventions qu'ils sont aussi. Qu'en est-il de l'exclusion de l'identification artistique de ces considérations pragmatiques relatives à la croyance? Celui qui réalise une identification artistique n'a-t-il pas intérêt à ne pas croire qu'elle est littéralement fausse; autrement dit, intérêt à croire qu'elle peut être vraie, à croire que cet objet n'est pas qu'un objet, mais aussi une oeuvre d'art? Si tel était le cas, de quel ordre serait donc cet «intérêt»? Rappelons que pour Danto, interpréter une oeuvre, c'est proposer une théorie concernant son sujet, et qu'une théorie «est toujours une réalité partagée[77]», inscrite dans un horizon artistique, un monde de l'art, une histoire. Face à l'incertitude de nos valeurs artistiques, il peut y avoir un «intérêt» à croire à quelque théorie, à certains critères constituants quoiqu'on ne puisse plus ignorer leur caractère disons, «conjoncturel». En montrant que la question de la constitution de l'oeuvre ne saurait être résolue par des critères de discrimination perceptuelle ou par des critères esthétiques «puisque deux entités peuvent être perceptuellement indiscernables, alors même que seulement l'une des deux est une oeuvre d'art[78]», Danto retire, dans l'ordre du discours, la «pierre de touche» qui déjà n'existait plus dans le domaine de la pratique artistique. Sans doute cela nous fait-il éprouver sur un mode plus aigu le problème de la reconnaissance de ce qui est une oeuvre d'art. Mais sur le plan de l'interprétation en général, croire à la vérité de l'identification artistique peut avoir un intérêt autre : fonder la légitimité du questionnement ou la légitimité du discours. Croire, c'est doter l'objet d'interprétabilité, cela distingue un objet d'un autre objet même s'ils sont identiques parce que l'un ne nous pose pas le problème de signification que nous pose l'autre. La croyance consisterait à ressentir la légitimité de ce questionnement, de «la question de savoir à propos de quoi[79]» est cet objet. Chez Danto, on voit peut-être plus clairement que chez Bourdieu et Heinich, à quel point l'incertitude gagne un autre terrain. Si on peut mettre en doute la légitimité de l'interrogation sur le sens de cet objet particulier, ne peut-on aussi mettre en doute la légitimité de l'interrogation elle-même, la possibilité même que les choses aient un sens? On peut alors se demander si les certitudes qui se dérobent au cours de la modernité artistique restaurent l'énigme du sens, sa valeur d'inquiétude ou si elles ne poussent pas essentiellement à préserver l'espace de la révélation (religieuse), de la spéculation (scientifique), de l'interprétation (artistique), l'espace de la croyance.

 

*

 

J'aime le mot «croire». En général, quand on dit «je sais», on ne sait pas, on croit. Je crois que l'art est la seule forme d'activité par laquelle l'homme en tant que tel se manifeste comme véritable individu. Par elle seule il peut dépasser le stade animal parce que l'art est un débouché sur des régimes où ne dominent ni le temps ni l'espace. Vivre, c'est croire; c'est du moins ce que je crois.

Marcel Duchamp, Duchamp du signe[80]

 

Au moment d'interrompre cette réflexion, j'aimerais insister encore sur le caractère double du mot croyance et le mettre en relation avec le caractère double de l'objet d'art dont il est question dans un autre texte de Danto : «Il se peut que tout au long de l'histoire de l'art, jusqu'à une époque très récente, les oeuvres d'art aient joui d'une identité double, en premier lieu comme objets utilitaires et pratiques, et ensuite comme vecteurs d'une signification spirituelle. L'attitude contemporaine envers l'art se caractérise par la présomption qu'il est sans contexte, comme si un objet ne pouvait pas être de l'art s'il a une utilité. [...] Dans la société contemporaine, il est très difficile de voir ou de dire quelle est la fonction de l'art à part celle d'être de l'art.[81]» La juxtaposition des motifs de la croyance tels qu'ils se rencontrent chez Bourdieu, Heinich et Danto confirme que dans les réflexions théoriques sur l'art, la présence du religieux ne se limite plus à un usage métaphorique, à cette forme de régression vers le religieux que dénonce Michel de Certeau dans La Faiblesse de croire. Cependant, on ne peut nier qu'elle soit parfois un indice d'une insuffisance de la réflexion, d'un déficit de la pensée éthique[82]. Dans le domaine de l'art, la fonction du concept de croyance se rapproche parfois d'un investissement religieux de l'ordre social, d'une restauration de la croyance pragmatique qui laisse en suspens l'énigme que posent ensemble le social et le sens. À l'horizon de cette réflexion sur la croyance et l'objet d'art, il reste donc à comprendre ce besoin de croire et la continuité de ses expressions.



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[1] Louise Lachapelle est étudiante au doctorat en études littéraires de l'Université du Québec à Montréal. Elle enseigne également au Collège de Maisonneuve.

[2] Guy Bellavance, «L'autonomie de l'art à l'ère de l'autonomie de tout. Anomie esthétique et souveraineté de l'art dans la modernité», Montréal : Société, L'Art et la norme, no. 15/16, été 1996, pp. 157-201.

[3] Bellavance, «L'autonomie de l'art à l'ère de l'autonomie de tout», p. 169.

[4] Bellavance, «L'autonomie de l'art à l'ère de l'autonomie de tout», p. 171.

[5] Bellavance, «L'autonomie de l'art à l'ère de l'autonomie de tout», p. 199.

[6] Jean Wirth, «L'évolution du concept de croyance (XIIe-XVIIe siècle)», Genève : Bibliothèque d'humanisme et renaissance, Tome 45, 1983, p. 10.

[7] Wirth, «La naissance du concept de croyance», p. 58.

[8] Wirth, «La naissance du concept de croyance», p. 57.

[9] Cet article s'inscrit dans un travail en cours sur l'éthique de l'activité créatrice. Une recherche qui reçoit l'aide financière du Fonds FCAR.

[10] Marcel Duchamp, Duchamp du signe. Écrits, Genève / Paris : Skira / Flammarion, [1958] 1994, p. 238.

[11] Wirth, «La naissance du concept de croyance», p. 12.

[12] Wirth, «La naissance du concept de croyance», p. 12.

[13] L'organisation féodale emprunte le «concept religieux élaboré par les Pères [qui sert alors] de modèle aux institutions féodales [en retour,] celles-ci donnèrent du lien religieux une image concrète, celle du rapport entre le "Seigneur" et les "fidèles".» Wirth, «La naissance du concept de croyance», p. 14. Dans son essai sur l'art et la société de 980 à 1420, Georges Duby montre avec plus de précision que ne peut le faire Wirth dans les limites de cet article à quel point ce phénomène d'emprunt en est un d'influences mutuelles. Le Temps des cathédrales : l'art et la société, 980-1420, Paris : Gallimard, «Bibliothèque des Histoires», [1976] 1993, 379 p.

[14] Wirth, «La naissance du concept de croyance», p. 14.

[15] Wirth, «L'évolution du concept de croyance (XIIe-XVIIe siècle)», p. 31.

[16] Wirth, «L'évolution du concept de croyance (XIIe-XVIIe siècle)», p. 51 et p. 53. Wirth : «Il revient à Pascal d'avoir systématisé la distinction qui était en germe chez Montaigne, avec un vocabulaire d'une rigueur géométrique où foi et créance s'opposent dans le même rapport que le sacré et le profane, la grandeur et la misère de l'homme. [...] Pascal érige en système la transcendance de la foi par rapport au phénomène psychologique de la croyance».

[17] Wirth, «L'évolution du concept de croyance (XIIe-XVIIe siècle)», p. 49.

[18] Selon Wirth, «Le moyen-âge considère l'image comme la réalisation d'une forme dans la matière». D'après lui, le concept médiéval de forme se rapprocherait donc «de ce que nous appelons plutôt le contenu». Sur cette question, l'explication de Wirth me semble peu satisfaisante puisqu'elle utilise à des fins comparatives notre opposition simpliste contenu-forme plutôt qu'une définition plus complexe de la notion de forme. Retenons néanmoins cette apparente inversion. Wirth, L'Image médiévale, p. 344.

[19] Jean Wirth, L'Image médiévale. Naissance et développements (VIe-XVe siècle), Paris : Méridien Klincksieck, 1989, p. 343.

[20] Wirth, L'Image médiévale, p. 345.

[21] Wirth, L'Image médiévale, p. 345. Notons l'analogie avec la formule de Bourdieu : la production de la croyance. Dans le contexte médiéval &emdash; ou dans le contexte d'une lecture contemporaine du moyen-âge &emdash;, produire du sacré relèverait donc de la nécessité de maintenir la cohésion sociale, de s'assurer l'autorité sur le plan symbolique, mais peut-être aussi de maintenir les conditions d'une forme de médiation spirituelle ?

[22] Wirth, L'Image médiévale, p. 346.

[23] Pierre Bourdieu, Les Règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris : Seuil, «Libre examen», 1992, p. 419.

[24] Bourdieu, Les Règles de l'art, p. 405.

[25] Pierre Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l'action, Paris : Seuil, 1994, p. 149.

[26] Pierre Bourdieu, «Champ intellectuel et projet créateur», Les Temps modernes, no 246, novembre 1966, p. 905.

[27] Bourdieu, «Champ intellectuel et projet créateur», p. 874.

[28] Bellavance, «L'autonomie de l'art à l'ère de l'autonomie de tout», p. 200 et p. 172 : «[...] faire une oeuvre d'art c'est [aussi] s'organiser pour y parvenir».

[29] Chez Bourdieu, l'idéologie charismatique correspond à «[l]'idéologie de la création qui fait de l'auteur le principe premier et dernier de la valeur de l'oeuvre», elle dissimulerait le rôle des autres actants du champ. Pierre Bourdieu, «La production de la croyance, contribution à une économie des biens symboliques», Actes de la recherche en science sociale, no 13, février 1977, p. 5. Le choix de l'expression idéologie charismatique pour décrire ce sur quoi achoppe l'entreprise positiviste de Bourdieu est évidemment fortement marquée, aussi faut-il la relier à son usage de mot croyance comme à l'ensemble de ses emprunts aux lexiques du magique et du religieux.

[30] Bourdieu, Les Règles de l'art, p. 238.

[31] Ironiquement, le titre du passage cité emprunte à la fois au vocabulaire liturgique et à la psychanalyse : «L'anamnèse historique et le retour du refoulé». Bourdieu, Les Règles de l'art, p. 400.

[32] «L'efficacité quasi-magique de la signature n'est autre chose que le pouvoir, reconnu à certains, de mobiliser l'énergie symbolique produite par le fonctionnement de tout le champ, c'est-à-dire la foi dans le jeu et ses enjeux que produit le jeu lui-même. En matière de magie, Mauss l'avait bien vu, la question [...] [est] de déterminer les fondements de la croyance ou mieux, de la méconnaissance collective, collectivement produite et entretenue, qui est au principe du pouvoir que le magicien s'approprie». Bourdieu, «La production de la croyance», p. 9. Passage repris avec variantes dans Les Règles de l'art, pp. 400-401 à la suite de l'extrait cité ci-haut.

[33] Dans «L'Essai sur le don» Marcel Mauss insiste déjà sur la nécessité d'une approche «pluridisciplinaire», des faits sociaux totaux. Il ne faudrait pas confondre celle-ci avec une «sociologie totalisante». Dans sa conclusion par exemple : «Les faits que nous avons étudiés sont tous, qu'on nous permette l'expression, des faits sociaux totaux, ou si l'on veut &emdash; mais nous aimons moins le mot &emdash; généraux : c'est-à-dire qu'ils mettent en branle dans certains cas la totalité de la société et de ses institutions [...] et dans d'autres cas, seulement un très grand nombre d'institutions [...]. Tous ces phénomènes sont à la fois juridiques, économiques, religieux, et même esthétiques, morphologiques, etc.» Sociologie et anthropologie, Paris : Presses Universitaires de France, «Quadrige», [1950] 1995, p. 274.

[34] Bourdieu, «La production de la croyance», p. 9.

[35] Bourdieu, Les Règles de l'art, p. 318.

[36] Bourdieu, Les Règles de l'art, p. 400.

[37] Nathalie Heinich, Être artiste : les transformations du statut des peintres et des sculpteurs, Paris : Klincksieck, «Études», 1996, pp. 99-100.

[38] Heinich, Être artiste, p. 100.

[39] Voir Nathalie Heinich, La Gloire de Van Gogh : Essai d'anthropologie de l'admiration, Paris : Éditions de Minuit, «Critique», 1991, 257 p.

[40] Nathalie Heinich, «Les objets-personnes : Fétiches, reliques et oeuvres d'art», Bruxelles : Sociologie de l'art, Oeuvre ou objet ?, no 6, 1993, pp. 25-55. Dans une entrevue accordée récemment, Heinich explique ce qui rapproche et distingue son travail de celui de Bourdieu, soit entre autres une approche plus descriptive que critique par laquelle elle cherche «à faire une sociologie de la singularité et non pas seulement, de la collectivité, en mettant ces deux niveaux sur le même plan.» Le Devoir, lundi 6 avril 1998.

[41] Heinich, «Les objets-personnes», p. 39.

[42] Heinich, «Les objets-personnes», p. 30.

[43] Heinich, «Les objets-personnes», p. 27.

[44] Heinich, «Les objets-personnes», p. 35.

[45] Heinich, «Les objets-personnes», p. 36.

[46] Heinich, «Les objets-personnes», p. 33.

[47] Il serait par ailleurs important de préciser la nature des recoupements entre les ensembles que forment les catégories des oeuvres d'art, des fétiches et des reliques au sein de la catégorie générale des objets-personnes.

[48] George Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, Paris : Minuit, «Critique», 1992, 201 p. Voir Heinich, «Les objets-personnes», p. 35.

[49] Heinich, «Les objets-personnes», p. 34.

[50] Heinich, «Les objets-personnes», p. 35.

[51] Heinich, «Les objets-personnes», p. 36.

[52] Heinich, «Les objets-personnes», p. 35.

[53] Bellavance, «L'autonomie de l'art», pp. 187-189. Pour Bellavance, l'un des problèmes que pose l'art aujourd'hui «tient précisément au fait qu'il n'est pas (encore) de l'art [...] Il n'est logiquement qu'une prétention à la reconnaissance en tant qu'art.»

[54] Heinich, «Les objets-personnes», p. 35.

[55] Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, p. 50.

[56] Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, p. 51 : «Les pensées binaires, les pensées du dilemme sont donc inaptes à saisir quoi que ce soit de l'économie visuelle comme telle. Il n'y a pas à choisir entre ce que nous voyons (avec sa conséquence exclusive dans un discours qui le fixe, à savoir la tautologie) et ce qui nous regarde (avec sa mainmise exclusive dans le discours qui le fixe, à savoir la croyance). Il y a, il n'y a qu'à s'inquiéter de l'entre. Il n'y a qu'à tenter de dialectiser, c'est-à-dire de penser l'oscillation contradictoire [...] à partir de son point central, qui est son point d'inquiétude, de suspens, d'entre-deux.»

[57] Heinich, «Les objets-personnes», p. 35.

[58] Heinich, «Les objets-personnes», p. 50.

[59] Raymond Lemieux, «Cherchez l'objet ou la question de l'éthique dans le champ religieux», Montréal, Religiologiques, Construire l'objet religieux, Printemps 1994, p. 163.

[60] Lemieux, «Cherchez l'objet», p. 157.

[61] Heinich, «Les objets-personnes», p. 35.

[62] Arthur Danto, La Transfiguration du banal. Une philosophie de l'art, Paris : Seuil, «Poétique», [1981] 1989, p. 318.

[63] Danto, La Transfiguration du banal, p. 50.

[64] Jean-Marie Schaeffer en préface de La Transfiguration du banal, p. 17.

[65] «Depuis le début de ce livre je soutiens qu'on ne saurait réduire une oeuvre d'art à son support matériel, ni l'identifier à lui, car dans ce cas elle serait ce qu'est un simple objet». Un peu plus loin, l'auteur ajoute : «La relation liant l'oeuvre à son substrat matériel est aussi complexe que celle qui lie l'esprit au corps.» Danto, La Transfiguration du banal, p. 170 et p. 174.

[66] «Chercher une description neutre, c'est voir l'oeuvre comme chose et donc pas comme oeuvre.» Danto, La Transfiguration du banal, pp. 202-203.

[67] Danto, La Transfiguration du banal, pp. 203-204.

[68] Danto, La Transfiguration du banal, p. 196.

[69] J'aimerais suggérer un rapprochement entre la relation matériau-signification-forme telle qu'elle se présente chez Danto et les remarques de Wirth à propos de l'image médiévale considérée comme la réalisation d'une forme dans la matière.

[70] Voici un autre passage qui éclaire la définition de l'aboutness : «les mots peuvent posséder toutes les propriétés des entités du monde, sauf qu'ils sont à propos de lui et que lui est ce à propos de quoi ils sont, l'à-propos-de étant la propriété de différenciation cruciale &emdash; et cette propriété est difficilement observable. [...] L'idée que je voulais proposer, [...] c'est que du point de vue de leur statut logique, on peut comparer les oeuvres d'art aux mots du langage, ceci dans la mesure où, bien qu'elles aient des répliques qui sont de simples objets réels, elles sont à propos de quelque chose (c'est-à-dire que la question de savoir à propos de quoi elles sont est une question légitime).» Danto, La Transfiguration du banal, pp. 142-143.

[71] Danto, La Transfiguration du banal, p. 205.

[72] Heinich, Être artiste, p. 99.

[73] Danto, La Transfiguration du banal, p. 204.

[74] Danto, La Transfiguration du banal, pp. 204-205.

[75] Danto, La Transfiguration du banal, pp. 204-205.

[76] Danto, La Transfiguration du banal, p. 318 et p. 319 : «Les croyances sont transparentes pour celui à qui elles appartiennent : il lit le monde à travers elles sans les lire. Mais elles sont opaques pour les autres : ils ne lisent pas le monde à travers ses croyances, ils lisent, pour ainsi dire, ses croyances.»

[77] Schaeffer en préface de La Transfiguration du banal, p. 17.

[78] Schaeffer en préface de La Transfiguration du banal, p. 13.

[79] Danto, La Transfiguration du banal, p. 143.

[80] Duchamp, Duchamp du signe, p. 185. Notons que l'oeuvre de Marcel Duchamp est un autre motif récurrent des réflexions de Bourdieu, Heinich et Danto. Duchamp y apparaît comme un «facteur d'incertitude» tant du point de vue de la définition de l'objet d'art, que sur le plan de la fonction de l'art. Il fragilise la croyance, la suscite et la rend nécessaire tout à la fois.

[81] Arthur Danto, Après la fin de l'art, Paris : Seuil, «Poétique», [1992] 1996, p. 150.

[82] Michel de Certeau, La Faiblesse de croire, Paris : Seuil, «Esprit», 1987, p. 255.