André Beauchamp. 1995. Dans le miroir du monde. Symboles et rites de la vie quotidienne. Montréal: Médiaspaul.


La vie quotidienne est une scène fractale sur laquelle de nombreuses personnes laissent parfois sortir de confuses paroles et, sans qu'on sache très bien pourquoi, en se déplaçant, forment de bizarres figures. Il y a un risque à signifier ces gestes qui marient les pas de nos ancêtres à la valse postmoderne de l'imaginaire symbolique. Or, c'est un risque que Beauchamp assume avec lyrisme afin de rappeler qu'il ne trace pas ici les grands axes du monde, mais qu'il colore avec les tonalités de sa sensibilité un monde qu'il nous donne à voir.

L'auteur divise son livre en cinq sections qui abordent autant de thèmes d'exploration de notre univers quotidien. Le temps, la nature, la quotidienneté, les rites de passage et le corps sont examinés par un úil attentif.

Beauchamp présente des morceaux de l'imaginaire symbolique et des parcelles de conduites qui renvoient à notre réalité la plus intime. Même si l'auteur situe son essai dans le cadre de l'anthropologie chrétienne, on peut se permettre d'additionner à celle-ci le champ plus vaste du livre de sagesse, à l'exemple, notamment, de ces textes légués par les anciennes civilisations grecque et égyptienne.

L'auteur ne s'adresse pas à un public savant, ce n'est pas non plus un essai à thèse, mais un chapelet d'observations et d'interprétations de la sagesse populaire. Il ne s'agit donc pas pour l'auteur de démonter les mécanismes de la vie, mais de rendre manifeste l'univers symbolique et émotif qui accompagne nos conduites, nos rituels et nos gestes. À cet égard, Beauchamp livre une lecture très personnelle des múurs qui pétrissent notre sensibilité. Je me permets de citer quelques exemples qui témoignent de son style et de sa voix.

«L'eau fait vivre, l'eau purifie. En lavant, elle redonne au corps sa pureté d'antan, d'avant la souillure illustré par la saleté, le sang, le sexe, l'injustice. L'hygiène et le moral sont depuis toujours intimement liés. De tout temps, le lavage du dehors a symbolisé la purification intérieure. D'où les innombrables rites d'ablutions et de purification des diverses religions.» (p. 42)

«Depuis toujours, les grands lieux de culte sont dans ces paysages limites de montagne, de forêt, sur une île au milieu de flots, à la frontière du désert. Au paysage trop connu de la quotidienneté, il faut substituer la démesure du cosmos qui nous renvoie au-delà de nos sécurités acquises. "Peur et tremblement" dit-on dans la littérature spirituelle.» (p. 73)

«En général, le christianisme se méfie considérablement du Dieu de la Nature et du paganisme, car il y voit une soumission aux éléments du monde. Nos contemporains semblent y trouver un monde chaleureux de significations agréables sans soupçonner le poids terrible des divinités de la fatalité et du destin.» (p. 74)

«Je me suis rendu compte que les hommes divorcés parlant entre eux se percevaient comme ceux qui avaient traversé la grande épreuve. Plus que de courir le marathon (autre rite important) ou que d'être allé à la guerre, divorcer c'est devenir un homme pour vrai, avoir fait la vraie expérience de la virilité.» (p. 124)

Je souligne également des réflexions très inspirantes portant sur la «marche dans le voisinage», la «mort et son au-delà», la «pudeur et la modestie». Il serait juste de classer cet essai dans le compartiment «livre de chevet», c'est-à-dire un livre qui donne à penser avant d'entrer dans le sommeil et qui chaperonne nos pas dans la journée.

(Denis Jeffrey, Faculté des sciences de l'éducation, Université Laval)

 

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