André Couture et Nathalie Allaire. 1996. Ces anges qui nous reviennent. Montréal: Fides (Coll. «Rencontres d'aujourd'hui» 23).

Il n'est pas évident de circonscrire le phénomène du Nouvel Âge puisque les experts ne sont pas encore arrivés à s'entendre sur une définition opérationnelle de ce dernier. Trop de chercheurs se réfugient derrière l'idée que le Nouvel Âge est une doctrine individualiste qu'il est impossible de décrire avec précision parce ses contours sont flous. André Couture et Nathalie Allaire font fi de ces clichés en tentant, dans ce volume, de décrire la réalité de l'ère du Verseau à travers l'analyse d'une multitudes d'ouvrages populaires parus récemment sur les anges. Cette recherche est donc essentiellement basée sur une analyse de contenu des livres nouvel-âgistes portant sur les anges. C'est aussi une étude comparative entre les écrits sur les anges de quatre grandes traditions religieuses (judaïque, chrétienne, musulmane et ésotérique) et du Nouvel Âge. Les auteurs veulent savoir s'il y a des liens entre les anges traditionnels et les «nouveaux anges» qui peuplent le cosmos sacré du NA.

Ils s'attardent d'abord à une description des anges traditionnels qui sont décrits comme des «messagers de Dieu». Ces messagers ne sont que des intermédiaires entre un Dieu transcendant et les humains. Il apparaît très clairement, selon les auteurs, que ces anges ne sont jamais des dieux. Le chapitre suivant traite de la place des anges dans l'ésotérisme occidental des XIXe et XXe siècles et de ses racines historiques que les auteurs attribuent au néoplatonismes et aux mysticismes juif et musulman. Dans le monde ésotérique où la règle de la correspondance s'applique à toutes les parties de l'univers, les anges deviennent des «émanations» de Dieu. Cette excellente syntèse historique nous rappelle que les auteurs du Nouvel Âge puisent plus fréquemment leur inspiration dans l'ésotérisme occidental que dans les religions traditionnelles. Cependant, le chapitre ne fait pas mention de certains éléments de cette nouvelle angéologie qui pourraient avoir été pris chez les gnostiques chrétiens, surtout depuis la découverte de la bibliothèque de Nag Hammadi en 1975. Il aurait été intéressant de savoir si ces textes parlent des anges et s'ils servent aujourd'hui de références dans la littérature New Age.

Finalement, les auteurs analysent les anges du Nouvel Âge qu'ils considèrent comme des «messagers d'autosuffisance spirituelle». Ce sont des messagers populaires qui cherchent le contact avec le plus grand nombre possible d'individus, alors qu'auparavant seule une poignée d'initiés y avaient accès. Si l'on retrouvait de bons et des mauvais anges dans les religions traditionnelles, ceux du Nouvel Âge sont toujours bienfaisants envers ceux qui les rencontrent. Ces nouveaux anges peuvent prendre des formes diverses et sont pleins d'énergie. On retrouve cette même énergie cosmique à l'intérieur des êtres humains, mais ils ne réussisent pas à la contrôler et à la canaliser. Pour remédier à cette situation, le nouvel-âgiste possède désormais un cosmos sacré peuplé d'anges à son service qu'il doit savoir prier, car c'est maintenant lui qui commande le contact avec le divin et non plus l'inverse, qui se produit toujours aujourd'hui dans le cadre des religions traditionnelles. Enfin, les auteurs remarquent que plusieurs des ouvrages étudiés tentent de prouver scientifiquement l'existence des anges.

Une nouvelle angéologie se serait donc constituée à partir d'une opposition aux grandes religions et aux ésotérismes historiques. Les nouveaux anges seraient, selon les auteurs, intégrés dans un processus de «consommation spirituelle» où l'être humain exerce son libre-choix en composant sa propre palette de croyances et de rituels; les anges ne serviraient alors qu'à légitimer la consommation de biens spirituels. Bien que nous soyons entièrement d'accord avec l'idée que l'un des indicateurs pertinents du Nouvel Âge soit la consommation de biens matériels ou culturels, nous croyons qu'il y a d'autres indicateurs qui sont tout aussi important tels que les attitudes, les pratiques de vie, les philosophies, etc. Par ailleurs, le concept de «consommation spirituelle» avancé par les auteurs nous apparaît difficile à mesurer; il serait peut-être plus approprié ici de parler de consommation de biens et services à caractère spirituel. Mais les auteurs vont beaucoup plus loin quand ils parlent des gens qui croient aux anges du Nouvel Âge: «Mais si ces nouveaux adeptes ont l'intime conviction d'avoir reconquis leur liberté spirituelle, c'est peut-être qu'ils sont prêts à accepter les séductions et les contraintes des institutions de consommation spirituelle de la fin de ce second millénaire.» (p.164) Il est intéressant de constater que même si les auteurs reprochent à une certaine littérature d'utiliser le christianisme comme point de comparaison avec le New Age, ces derniers n'hésitent pas à employer le terme «adeptes» dans la citation ci-dessus pour décrire les tenants du NA, un concept qui trouve ses racines justement dans les grandes traditions religieuses. Peut-on vraiment être un consommateur et un adepte en même temps? Les auteurs parlent aussi de «contraintes» inhérentes aux «institutions de consommation spirituelle», sans toutefois spécifier la nature de ces contraintes. Nous ne sommes pas convaincus non plus que l'on peut encore parler «d'institutions» dans le cas de commerces qui n'ont pas nécessairement de liens entre eux. Il y a ici, certes, des pistes de recherches fascinantes.

Pour nous, la force de cette étude réside surtout dans le fait que les auteurs n'ont pas cherché à se «bricoler» un crédo du Nouvel Âge à partir des dogmes religieux du passé et qu'ils reconnaissent une certaine rupture épistémologique entre nos traditions religieuses et le phénomène du Nouvel Âge. À notre avis, ils sont les premiers à le faire avec autant de brio au Québec. Cependant, nous pensons que la réponse à la problématique du Nouvel Âge ne se réduit pas à une espèce de dicothomie entre la rupture ou l'adhésion aux grandes traditions religieuses que semble défendre les auteurs. Il est certes pertinent de parler d'une certaine réaction face à l'establishment religieux occidental, mais cela n'implique nullement le rejet intégral des grandes traditions religieuses. Récemment, le cardinal Turcotte interprétait à sa manière le phénomène: «Au fond le retour de la popularité des anges ne me déplaît pas du tout. Il reflète l'attention et la tendresse de Dieu pour nous. Par sa présence, l'ange gardien nous rappelle que Jésus habite au plus profond de notre coeur et qu'il veille sur nous» («Voulez-vous bénir mon ange? Journal de Montréal, 29.09.1996, p. 8.) Monsieur Turcotte ne semble pas voir la rupture entre les nouveaux anges et les anciens! Malgré ces petites réserves, nous pensons tout de même que cette recherche demeure fondamentale pour toute personne qui veut aller plus loin que les clichés habituels sur le Nouvel Âge.

Martin Geoffroy,
CÉGEP de Maisonneuve

Sommaire des recensions / Page d'accueil