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Juin 2014 (date de mise en ligne) Recension
de : Dans
Western Esotericism,
Wouter J. Hanegraaff s’intéresse sans détour aux
binarités conceptuelles normatives qui font de l’ésotérisme occidental un
objet d’étude toujours aussi polémique : « Somehow it does not really look like “religion” as commonly
understood, but it does not appear to be a form of “philosophy” either, nor
would it be accepted as “science” today. Nevertheless it participates in all
these fields, as well as in the arts, and yet it cannot be reduced to either
of them and has been seriously neglected by all » (p. 1-2). L’objectif
de Hanegraaff, professeur d’histoire de la
philosophie hermétique à l’Université d’Amsterdam, est, avant tout, de
changer la perspective du lecteur, étudiant ou enseignant, des visions du
monde, pratiques et modes de connaissance jugés ésotériques dont
l’historicité, la complexité et la transdisciplinarité demeurent mal
comprises. L’étude de l’ésotérisme occidental, objet à la fois orphelin et
globalisé et, pourtant, encore négligé par la recherche académique, aurait,
selon Hanegraaff, le potentiel d’offrir un nouvel
éclairage sur les savoirs de la culture occidentale. Suite
aux premières théorisations de l’influent historien français Antoine Faivre dans
les années 1990, les tentatives pour définir l’ésotérisme occidental se sont
multipliées (p.3). Hanegraaff distingue trois
modèles qui en prédéterminent les conceptualisations habituelles :
l’ésotérisme comme enchantement ayant connu son apogée au début de la période
moderne ; comme aspect intégrant et manifestation de la culture
populaire moderne ; et comme source de savoir secret interne et
universelle à toutes les religions, analogue à une prisca theologia ou à une philosophia perennis (p. 50). Cependant,
ces modèles posent problème. D’abord, même si le premier d’entre eux
reconnaît que l’ésotérisme a survécu après la période des Lumières, ce
dernier s’inscrit fondamentalement à l’encontre du projet moderne et de la
Raison. Il rend ainsi mal compte de l’ésotérisme moderne et contemporain, car
il les considère comme des formes dérivées du modèle pré-Lumières. De ce
fait, les deux derniers modèles dénotent un manque flagrant de perspective
historique. De même, l’ésotérisme
occidental, érigé à l’encontre de la culture judéo-chrétienne dominante, a
fortement tendance à brouiller les limites entre fiction et réalité. Enfin,
il ne connote souvent, au sein des discours populaires ou académiques
contemporains, que des associations péjoratives au Nouvel Âge et à l’occulte,
catégories elles-mêmes problématiques. Hanegraaff
reconnaît dans cette impasse l’influence marginalisante
encore latente de la rationalité des Lumières, lorsque les sciences et les
catégories religieuses, telles qu’on les connaît aujourd’hui, ont été
constituées. Ce processus d’exclusion, causé par un besoin élitiste moderne
d’identité et, par le fait même, d’altérité, est celui qui s’est opéré
pendant des siècles de débats et négociations apologétiques et polémiques
entourant la science, la religion et la Raison. À cet effet, la petite
histoire qu’Hanegraaff fait des différents
mouvements d’idées ayant affirmé connaître l’essence de l’ésotérisme
occidental – qu’il complémentera, en conclusion, par la recension des
diverses sources historiques et ressources contemporaines permettant de mieux
comprendre l’ésotérisme occidental – est des plus révélatrices. De manière
concise mais adroite, l’auteur démontre que ce processus, en déclarant que
certains entendements du monde et épistémologies dérogeaient de la norme
religieuse ou intellectuelle, a déterminé les interprétations qui étaient
acceptables ou non. En
conséquence, Hanegraaff précise qu’il préfère
éviter toute conceptualisation entourant la magie, en raison de la trop
grande tradition intellectuelle qui en complique la compréhension. S’il
consent à dire que la magie est omniprésente au sein des visions du monde
ésotériques, il considère que la constante opposition entre magie, religion
et science ne révèle pas efficacement la complexité de la rencontre entre
religion et ésotérisme dans la culture occidentale contemporaine. Il en va de
même lorsqu’il précise que son utilisation du terme « occidental »
ne suppose en rien une opposition partisane intrinsèque à un ésotérisme
« oriental » ou encore aux mysticismes juif ou islamique. L’auteur
reconnaît la nécessité de tenir compte de ces traditions dans l’étude des
religions en Europe pour comprendre l’ésotérisme. Cependant, dans le cadre de
son guide, pour des raisons linguistiques et historiographiques, il préfère
se restreindre à l’ésotérisme qui, dès le XVIIIe siècle, s’est
défini de façon polémique et apologétique par rapport aux traditions païennes
de l’Antiquité tardive. De même, le caractère secret ou caché auquel réfère
l’ésotérisme diffère grandement dans les trois traditions religieuses
abrahamiques. Aussi, en raison de la capacité effrayante de l’historiographie
à démontrer les incohérences des dogmatismes religieux (p. 120), il est
nullement nécessaire à l’étude des religions ou de l’ésotérisme de chercher à
révéler ce secret. Finalement,
Hanegraaff considère que les savoirs ésotériques
exclus des discours intellectuels et religieux modernes ont joué un plus
grand rôle dans l’histoire de la culture occidentale que celui que la
recherche ne leur a reconnu. De fait, son guide se démarque surtout par son
exploration de la pratique de l’ésotérisme. Plutôt que de miser sur
l’histoire des idées, l’auteur démontre l’importance de l’ésotérisme
occidental à travers huit types de pratiques ésotériques relevant des
fondements de la religion. De surcroit, il expose brillamment le potentiel de
l’application de l’ésotérisme occidental à la majorité des disciplines en
sciences humaines et à certaines sciences sociales. Il pousse aussi sa
critique en faisant l’examen des différences et des discontinuités qui
incombent à l’ésotérisme occidental contemporain devant les conséquences de
la modernisation sur la tradition ésotérique en général. Il s’intéresse,
entre autres, aux transformations reliées à l’émergence du « marché
religieux ». En somme, ce Guide
for the Perplexed
d’Hanegraaff offre un portrait juste et
efficace de l’ésotérisme occidental en ouvrant des possibilités pour en
saisir plus adéquatement les manifestations contemporaines et à venir. Lien: http://www.religiologiques.uqam.ca/recen_2014\2014_p_WHaegraaff.htm |