La discipline sociologique a longtemps
considéré la ville comme un terreau défavorable aux religions (p.17). Se faire une place dans la cité : la
participation des groupes religieux à la vie urbaine récupère cet enjeu
classique de la sociologie des religions en proposant d’envisager le
dynamisme du fait religieux actuel dans différentes villes québécoises et
françaises. Dirigé par le géographe Frédéric Dejean et la sociologue Annick
Germain, l’ouvrage examine d’un point de vue pragmatique les rapports
multiples qui unissent les villes et les religions. D’emblée, le sociologue
Jean-Paul Willaime souligne dans la préface que les
villes sont dorénavant des « laboratoires de reconfiguration du
religieux » (p. 9) et rappelle que, loin d’évoluer en vase clos,
les villes et les religions s’influencent mutuellement. La première partie, intitulée « la
diversité religieuse et les politiques municipales », mobilise un angle
comparatif entre le Québec et la France. Frédéric Dejean étudie dans le
premier chapitre les différentes manières dont se déploie le zonage des lieux
de culte en contexte montréalais. Dans le second chapitre, il poursuit la
réflexion autour des enjeux géographiques des lieux de culte à l’aide de la
notion de « système de vie cultuel », qui accorde une importance
renouvelée aux personnes qui fréquentent ces lieux. Jean-Yves Camus aborde
par la suite les défis de la gestion de la diversité religieuse dans la ville
de Paris où la laïcité est appliquée d’une manière centralisée dans des
contextes variés. La seconde partie, « Les groupes
religieux au service d’une ville inclusive », s’ouvre sur un texte d’Alexandre
Maltais et David Koussens à propos de l’église Saint-Pierre
Apôtre, située dans Le Village. Les auteurs retracent d’abord la
personnalisation progressive des rituels de cette église catholique pour la
communauté homosexuelle du quartier montréalais, puis l’extraterritorialisation
de la paroisse, la plupart de ses fidèles ne résidant plus dans le quartier
en question. Deirdre Meintel
se penche dans le chapitre suivant sur le cas de certaines villes régionales
québécoises aux paysages religieux diversifiés, dont les groupes religieux
œuvrent afin de faciliter l’intégration des nouveaux arrivants. Elle souligne
ainsi la présence de la diversité religieuse en dehors des métropoles et
l’apport de celle-ci dans l’établissement du bien commun. Enfin, le rôle des
églises évangéliques et pentecôtistes montréalaises dans l’accueil des
demandeurs d’asile haïtiens est détaillé par Frédéric Dejean et Emerson Jean
Baptiste. Dans une discussion autour des notions de « religious coping » et d’espace de
résilience, les auteurs soulignent la complémentarité des services de soutien
administratif, matériel et psychologique offerts par ces églises avec les
ressources offertes par les organismes communautaires montréalais. La dernière partie de l’ouvrage, « les
expressions religieuses et spirituelles dans les quartiers », se
concentre sur les manifestations publiques de la religion à Montréal et
Paris. Lucine Endelstein signe le premier texte sur
les festivités publiques et mondialisées d’Hanoukka qui sont à la fois
l’occasion pour les communautés juives parisiennes de partager leur foi avec
leurs semblables à l’international, mais également de marquer leur présence
dans l’espace urbain parisien. Dans un cadre montréalais, Valentina Gaddi
analyse ensuite trois controverses impliquant les communautés hassidim et
non-hassidim du quartier Outremont, dont la médiatisation tend à polariser
des enjeux de cohabitation qui se révèlent plus nuancés sur le terrain. Puis,
Anthony Goreau-Ponceaud et Natalie Lang abordent la
fête hindoue de Ganesh célébrée par la diaspora sud-asiatique parisienne qui
permet une consolidation de la communauté, tout en inscrivant l’hindouisme
dans l’espace public parisien et en favorisant un dialogue interreligieux.
Ensuite, Claude Gélinas aborde la place des spiritualités autochtones à
Montréal, en expliquant que les lieux de spiritualité privilégiés
correspondent souvent à des points de services spécifiques (Centre d’amitié
autochtone de Montréal, Centre de justice des premiers peuples de Montréal,
entre autres). Dans un dernier chapitre rendant hommage à la géographe Claire
Dwyer, Justin Tse propose une réflexion autour des enjeux ethnographiques
vécus lors de leur terrain conjoint sur un segment de la route 5 en
Colombie-Britannique, surnommé la « Highway to Heaven »
(« autoroute vers le paradis ») en raison de la vingtaine de lieux
de culte qui y sont établis. Finalement, Lori G. Beaman réitère, dans la
postface, la pertinence de considérer l’échelle locale dans l’analyse de la
religion, puisqu’elle permet d’examiner les relations sociales dans toute
leur complexité et de mieux comprendre le « vivre-ensemble ». Les divers domaines de spécialisation des
personnes qui ont collaboré à l’ouvrage permettent d’envisager la thématique
de la religion dans la vie urbaine à travers des perspectives croisées. Ce
faisant, l’ouvrage présente un éventail pertinent des dynamiques à l’œuvre
entre les espaces urbains et la religion, soulevant du même coup des pistes
de réflexion porteuses, particulièrement en ce qui concerne Montréal et
Paris. En outre, la comparaison des réalités québécoises et françaises
suggérée à la fois dans le contenu et l’agencement des chapitres de l’ouvrage
pourrait être déployée de manière plus soutenue dans de prochains travaux,
l’objectif de Se faire une place dans la cité semblant viser davantage leur mise
en lumière que leur comparaison. Ainsi, la force de cet ouvrage réside dans
son approche pragmatique du couple villes et religions : d’une part, un
souci particulier est accordé aux réalités vécues par les individus, que ce
soit dans un cadre religieux, citoyen ou professionnel et, d’autre part, les
sujets traités au fil de ses pages font écho à de nombreux enjeux d’actualité
(la loi sur la laïcité de l’État québécois adoptée en 2019 et dont la portée
est toujours abondamment discutée en est un exemple). En somme, la lecture de
cet ouvrage bien documenté et accessible profitera à toute personne
s’intéressant de près ou de loin à la religion en contexte urbain. Lien: https://www.religiologiques.uqam.ca/recen_2022/2022_FDejean_AGermain.htm |