Si la fragmentation des
sociétés peut être étudiée comme un processus
social, effet logique de la modernité, la
« reconstruction » suppose une décision prise par
des sujets. décision que rien ne garantit et qui représente un
risque pris avec le sens. À partir de cette constatation, l’auteur
effectue une relecture de ses recherches sur les croyances des
Québecois. Il y trouve une construction d’itinéraires de
sens, faite dans la relecture des expériences ayant
déjà marqué la vie des individus et à partir des
matériaux offerts par le marché des biens de salut. L’article
propose ainsi de préciser la notion d’itinéraires de sens
comme outil conceptuel susceptible d’éclairer les comportements
croyants dans le monde contemporain.
L’Encre du poulpe
de Sylvie Germain ou la récriture du reniement de Pierre
Tout le récit de L’Encre du
poulpe
de Sylvie Germain gravite autour d’un hypotexte clairement cité,
celui d’un fragment d’évangile : le reniement de
Pierre, épisode de la Passion du Christ. Notre analyse va tenter de
mettre en lumière la façon dont l’hypotexte est
convoqué dans la nouvelle destinée à des adolescents puis
d’observer comment il « travaille » l’histoire
toute entière. La question étant de savoir si un passage
évangélique ainsi récrit a, plus qu’une autre
« matrice », le pouvoir de produire un sens neuf ou
originel au sens où l’entend Maurice Blanchot dans L’Entretien
infini :
« Ce qu’il importe, ce n’est pas de dire, c’est de
redire et, dans cette redite, de dire chaque fois encore une première
fois. »
Purgatoire et Anagnôrisis dans le film The
Sixth Sense
L’auteur examine le film The Sixth
Sense
du scénariste M.N. Shyamalan afin d’illustrer comment la tradition
chrétienne menacée par la sécularisation refait surface de
manière inattendue dans des productions culturelles contemporaines. Dans
un premier temps, l’analyse montre comment le scénariste exploite
le thème du purgatoire, cette curiosité anachronique au plan
théologique, de manière à illustrer sa pertinence et son
intérêt pour un public qui se penche sur la question du destin de
l’être humain au-delà de la mort. Dans un deuxième
temps, l’auteur examine le dénouement de l’intrigue à
l’aide du concept de l’anagnôrisis, ce moment de
reconnaissance dans une intrigue où le héros se rend compte de la
fâcheuse situation dans laquelle il se trouve. On y verrait,
prétend l’auteur, l’écho de l’anagnôrisis
expérimenté par le lecteur de l’évangile de Marc.
Selon Lucien Dällenbach (Mosaïques, Seuil, 2001), la
figure de la mosaïque prédomine les productions artistiques et
culturelles des dernières années. La présente
communication propose une réflexion sur ce constat du spécialiste
du fragmentaire et le retour du sacré qui se manifeste dans la culture
actuelle. La réflexion se portera sur trois cas de figure : le
défi, le jeu et la quête. Pour le défi, le clip
vidéo que le groupe Nirvana avait créé pour sa chanson Heart-Shaped
Box
servira d’exemple. Le deuxième cas de figure sera occupé
par le roman L’Apparition de Didier van Cauwelaert. Il s’agit de
faux retours du sacré, dans la mesure où les manifestations du
sacré — conformes à la pensée postmoderne —
finalement tournent court. Dans le troisième cas de figure, le
sacré semble avoir trouvé sa nouvelle place, comme dans les
oeuvres de Sylvie Germain, où les multiples références
bibliques vont de pair avec le cosmique pour créer un univers
fantastico-mythique. Mais la question qui se pose est de savoir si le
sacré a vraiment trouvé une nouvelle place. Peut-on parler d’un
dépassement, d’une synthèse, ou s’agit-il tout
simplement d’un nouvel assemblage, une autre mosaïque ?
La
référence à mon expérience musicale amène
à requestionner l’analyse esthétique sous le mode de la
reconstruction ou du bricolage, du marché religieux, de la religion
à la carte, qui ont fait fortune en sciences sociales, en
théologie et dans le langage courant. Sur l’horizon de la fin des
univers cohésifs, sommes-nous condamnés à ne
répertorier que des traces, des signes et objets disparates, chez les
anciens comme les modernes ? Cette réflexion sur l’expérience
esthétique me provoque à explorer d’autres voies, qui la
saisissent plutôt comme unité herméneutique ou mouvement
vers un horizon de sens.
La Bible coulée dans le rock :
fragmentation et reconstruction du texte biblique
dans la musique rock
Dans ses entretiens, George Steiner
considère la musique rock et le heavy metal comme l’espéranto
international des jeunes de notre époque (Steiner, Entretiens, p. 91). Or, cet
espéranto porte une dimension religieuse manifeste, entre autres
à travers l’usage fréquent d’images et de textes
bibliques souvent passés au broyeur des guitares et des voix
vociférantes. On peut se demander quelles figures construisent les
fragments qui en résultent, souvent irrévérencieux voire
scandaleux pour plusieurs. À travers les violences que le rock et
surtout le métal infligent au texte biblique, faut-il voir des attaques
contre la Bible et contre Dieu, comme le croient plusieurs chrétiens,
ou, au contraire, un respect profond de la dynamique de ce texte et un usage
légitime de celui-ci ? Davantage portée par la seconde
hypothèse, notre communication vise à identifier les usages et
les fonctions religieuses de la Bible dans la musique rock.
L’auteur propose une lecture
théologique d’un récit de l’écrivain Georges
Perec intitulé « Les lieux d’une ruse »,
où Perec décrit l’analyse qu’il a faite entre 1971 et
1975. Ce récit, au statut hautement ambigu (entre la littérature
et l’autobiographie, entre la fiction et le réel), sera mis en
parallèle avec un texte classique de l’ethnologie contemporaine,
le chapitre inaugural de La pensée sauvage de Claude
Lévi-Strauss. L’hypothèse de lecture est que la
démarche analytique décrite par Perec et le mode de
fonctionnement de la pensée mythique tel que le reconstruit
Lévi-Strauss présentent des analogies frappantes avec le travail
du théologien chrétien.
Une oeuvre en particulier, le Journal de
Satan
de Léonid Andreïev, sert de point de départ pour une
réflexion sur le démoniaque et les enfers dans la
littérature moderne. La persistance de ces thèmes mythiques est
étonnante si l’on songe que le diable est devenu en quelque sorte
un fossile théologique. Non seulement se réduit-il à un
thème littéraire, mais les mythes qui l’accompagnent sont
repris sous une forme fragmentaire. La persistance dans des oeuvres nouvelles
de fragments anciens extraits de la tradition chrétienne est paradoxalement
un désir de refléter le réel, ce qui permet une
réactualisation de ces images mythiques.
Bricolage
intertextuel : des figures théologiques
dans la théorie du
langage contemporaine
Il y a de nombreux
bricolages de fragments judéo-chrétiens dans la culture populaire
et artistique actuelle. Mais, et ceci a peut-être été moins
observé, il y en a aussi dans la culture scientifique. Le discours de la
théorie du langage use de figures théologiques, devenues
culturellement incongrues mais qui prennent un relief pertinent dans leur
nouveau contexte. Ces résurgences sont significatives, et pour la théologie, et pour l’épistémè
contemporaine, parce qu’il y a là non pas seulement
métaphore d’usage mais congruence de signification dans les deux
champs. Jusqu’à ce qui constitue un sommet, probablement encore
inconscient actuellement dans la théorie du texte : la
sécularisation de concepts et figures théologiques, sans perte de
sens.
Art et transcendance : masques du désir
impossible
Le
seul bricolage essentiel est impossible. La conception de la littérature
de Maurice Blanchot le manifeste. Mais cela suppose d’abord un examen des
rapports entre l’art et une transcendance qui ne soit pas un prolongement
de l’immanence. À partir de là, l’auteur montre
comment l’humain advient comme sujet en posant un Autre
irréductible aux représentations qu’il s’en fait, et
passe ainsi d’une logique mortifère de la satisfaction à
une paradoxale logique du désir. La nécessité d’inventer
l’Autre, à la lumière des réflexions d’Octave
Mannoni et de Georges Didi-Huberman, semble déjà supposée
par le langage et le regard du sujet.
« …comme dans mille éclats
d’un miroir » :
le « bricolage » d’Etty
Hillesum
Van den Brandt considère le journal et
les lettres de la Juive néerlandaise Etty Hillesum,
rédigés entre 1941 et 1943, comme un
« bricolage » très réussi dans les
années quarante aux Pays-Bas. L’article montre la
« mentalité bricoleuse » de l’auteur dans
son contexte littéraire-culturel. Les « mille
éclats » dans l’œuvre d’Etty Hillesum
reflètent une histoire d’une humanité vécue,
contée et re-contée pour confronter la civilisation avec ses
propres ressources, inspirations et connaissances vitales.
L’évolution du discours
chrétien dans les expositions majeures du tournant du
millénaire (1998-2002)
En cinq ans, trois expositions de calibre
international et universel ont été présentées en
Europe. Chacune comportait au moins une présentation du christianisme,
orchestrée par une ou plusieurs instances officielles. Après une
rapide mise en contexte, l’article décrit le type de
présentation esthétique mis en œuvre. On détecte des
liens de filiation ou des ruptures entre les stratégies de communication
adoptées d’une exposition à l’autre. On qualifie ces
types à l’aide de quelques catégories inspirées de l’exégèse
sociocritique américaine. En rétrospective, on examine si
semblable évolution s’est jadis manifestée au fil de l’histoire
des expositions internationales. L’article propose enfin quelques
hypothèses quant au sort à moyen terme des deux modèles de
mise en discours repérés au tournant du millénaire.
La transformation du religieux dans le paysage
architectural : fragmentation ou reconstruction?
Pourquoi les fidèles abandonnent-ils leur
lieu de culte ? La réponse la plus courante consiste à
pointer du doigt la sécularisation et la déchristianisation
croissantes de nos sociétés. Néanmoins, plus
profondément, il faut s’interroger à savoir si cela pouvait
résulter des lieux de culte eux-mêmes qui ne parviendraient plus
à être signifiants pour les fidèles d’aujourd’hui.
C’est cette question que nous explorons dans le présent article.
Plus précisément, nous cherchons à voir comment l’architecture
religieuse moderne a introduit plusieurs ruptures entre les communautés
et les édifices de culte ; ruptures qui seraient partiellement
responsables de la situation actuelle. Ensuite nous analysons brièvement
quelques solutions proposées par l’architecture postmoderne.
Le terme même de
« bricolage » employé dans le titre de cette
réflexion collective trahit au fond la difficulté pour le
catholique, placé sous le regard normatif et surplombant du
maître, à dire les modalités concrètes de sa foi,
à se réclamer ouvertement d’une démarche croyante
qui, pour rester vivante, reprend, réaménage, joue avec le sens
de sa tradition et, ce faisant, échappe au contrôle de la censure.
À cet égard, le cinéma qui, d’entrée de jeu,
a été perçu par les spectateurs comme un libre jeu
fictionnel et senti par les autorités ecclésiastiques comme une
alternative menaçante à son propre monopole du sens, constitue un
cas d’espèce qui illustre la tension entre l’appropriation
du sens par le croyant et sa gestion par les instances régulatrices et détentrices
de la vérité dans l’Église.
La
métaphysique d’un
« mécréant » :
Le Père et le
Fils dans l’œuvre de Jacques Ferron
Jacques Ferron se présente comme un
« mécréant » ou un « athée »
dans ses œuvres polémiques ou de fiction. Il y évoque
pourtant Dieu et les questions de religions de façon récurrente :
par la présence marquée de personnages religieux dans les
récits ou les textes polémiques, ainsi que par l’expression
d’une pensée plus directement concernée par la
spiritualité et la métaphysique. Le présente étude
est consacrée à cette seconde dimension. Nous y voyons tout d’abord
quelle relation Jacques Ferron entretient avec le Père et le Fils au
sein de la Trinité, et que cette réflexion foncièrement
métaphysique conduit l’auteur sur la voie d’un
questionnement de nature identitaire concernant le rapport du sujet à
soi-même et à autrui. C’est dans la quadrature de cette
difficile problématique à double face, et après une touche
d’originalité de la part de l’auteur, que l’idée
de Dieu finira par trouver une place exaucée dans l’univers
ferronien, sur terre et au sein de l’humanité.
Le Libéria de
la guerre civile : magie, religion et pouvoir
dans Allah n’est
pas obligé d’Ahmadou Kourouma
Dans cet article, j’analyse la
manière dont la magie, et plus particulièrement les sacrifices,
les rituels initiatiques, les gris-gris et les paroles incantatoires, sont
utilisés par les personnages d’Ahmadou Kourouma pour sublimer et
justifier les guerres et la quête de pouvoir, que cette dernière
soit monétaire ou politique. Dans Allah n’est pas obligé, Kourouma tente de
décrire l’état d’esprit des enfants soldats que l’on
retrouve dans différents conflits ethniques au Libéria et au
Sierra Léone. La vie du jeune Birahima s’avère un voyage
initiatique où la découverte de la puissance du gri-gri est
indissociable de celle du kalachnikov. Les enfants soldats s’approprient
le pouvoir temporel au même rythme qu’ils approfondissent les
rituels et la magie. Dans la façon dont Kourouma présente la
guerre, la magie occupe une place paradoxale, car elle est, finalement,
à la fois mensongère et essentielle, autant illusoire qu’indispensable
pour tous ceux qui font profession de braver la mort.
Afrique du Sud :
les pentecôtismes dans le recodage du politique par le religieux
Un règlement rapide et inattendu est
intervenu en Afrique du Sud, théâtre d’un conflit apparemment
sans issue. Malgré les inégalités raciales persistantes au
niveau économique, une mutation politique s’est produite : un
changement de langue politique. Ce changement a été rendu
possible par un recodage du politique par le religieux, en partie réalisé
par le travail symbolique de la Commission Vérité et
Réconciliation. La thèse de ce texte est que les Églises « progressistes »
ont permis ce recodage mais que ce sont les Églises de type
pentecôtiste, ayant pourtant été favorables au statu quo durant la
période d’apartheid, qui l’ont rendu performatif.