Raymond Lemieux

Bricolage et itinéraires de sens

 

Si la fragmentation des sociétés peut être étudiée comme un processus social, effet logique de la modernité, la « reconstruction » suppose une décision prise par des sujets. décision que rien ne garantit et qui représente un risque pris avec le sens. À partir de cette constatation, l’auteur effectue une relecture de ses recherches sur les croyances des Québecois. Il y trouve une construction d’itinéraires de sens, faite dans la relecture des expériences ayant déjà marqué la vie des individus et à partir des matériaux offerts par le marché des biens de salut. L’article propose ainsi de préciser la notion d’itinéraires de sens comme outil conceptuel susceptible d’éclairer les comportements croyants dans le monde contemporain.

 

 

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Danièle Henky

L’Encre du poulpe de Sylvie Germain ou la récriture du reniement de Pierre

 

Tout le récit de L’Encre du poulpe de Sylvie Germain gravite autour d’un hypotexte clairement cité, celui d’un fragment d’évangile : le reniement de Pierre, épisode de la Passion du Christ. Notre analyse va tenter de mettre en lumière la façon dont l’hypotexte est convoqué dans la nouvelle destinée à des adolescents puis d’observer comment il « travaille » l’histoire toute entière. La question étant de savoir si un passage évangélique ainsi récrit a, plus qu’une autre « matrice », le pouvoir de produire un sens neuf ou originel au sens où l’entend Maurice Blanchot dans L’Entretien infini : « Ce qu’il importe, ce n’est pas de dire, c’est de redire et, dans cette redite, de dire chaque fois encore une première fois. »

 

 

 

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Robert Hurley

Purgatoire et Anagnôrisis dans le film The Sixth Sense

 

L’auteur examine le film The Sixth Sense du scénariste M.N. Shyamalan afin d’illustrer comment la tradition chrétienne menacée par la sécularisation refait surface de manière inattendue dans des productions culturelles contemporaines. Dans un premier temps, l’analyse montre comment le scénariste exploite le thème du purgatoire, cette curiosité anachronique au plan théologique, de manière à illustrer sa pertinence et son intérêt pour un public qui se penche sur la question du destin de l’être humain au-delà de la mort. Dans un deuxième temps, l’auteur examine le dénouement de l’intrigue à l’aide du concept de l’anagnôrisis, ce moment de reconnaissance dans une intrigue où le héros se rend compte de la fâcheuse situation dans laquelle il se trouve. On y verrait, prétend l’auteur, l’écho de l’anagnôrisis expérimenté par le lecteur de l’évangile de Marc.

 

 

 

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Mariska Koopman-Thurlings

Le sacré en morceaux : de Nirvana à Sylvie Germain

 

Selon Lucien Dällenbach (Mosaïques, Seuil, 2001), la figure de la mosaïque prédomine les productions artistiques et culturelles des dernières années. La présente communication propose une réflexion sur ce constat du spécialiste du fragmentaire et le retour du sacré qui se manifeste dans la culture actuelle. La réflexion se portera sur trois cas de figure : le défi, le jeu et la quête. Pour le défi, le clip vidéo que le groupe Nirvana avait créé pour sa chanson Heart-Shaped Box servira d’exemple. Le deuxième cas de figure sera occupé par le roman L’Apparition de Didier van Cauwelaert. Il s’agit de faux retours du sacré, dans la mesure où les manifestations du sacré — conformes à la pensée postmoderne — finalement tournent court. Dans le troisième cas de figure, le sacré semble avoir trouvé sa nouvelle place, comme dans les oeuvres de Sylvie Germain, où les multiples références bibliques vont de pair avec le cosmique pour créer un univers fantastico-mythique. Mais la question qui se pose est de savoir si le sacré a vraiment trouvé une nouvelle place. Peut-on parler d’un dépassement, d’une synthèse, ou s’agit-il tout simplement d’un nouvel assemblage, une autre mosaïque ?

 

 

 

 

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Solange Lefebvre

Esthétique et théologie : un doute critique sur le paradigme constructiviste

 

La référence à mon expérience musicale amène à requestionner l’analyse esthétique sous le mode de la reconstruction ou du bricolage, du marché religieux, de la religion à la carte, qui ont fait fortune en sciences sociales, en théologie et dans le langage courant. Sur l’horizon de la fin des univers cohésifs, sommes-nous condamnés à ne répertorier que des traces, des signes et objets disparates, chez les anciens comme les modernes ? Cette réflexion sur l’expérience esthétique me provoque à explorer d’autres voies, qui la saisissent plutôt comme unité herméneutique ou mouvement vers un horizon de sens.

 

 

 

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Jean-Guy Nadeau

La Bible coulée dans le rock :

fragmentation et reconstruction du texte biblique dans la musique rock

 

Dans ses entretiens, George Steiner considère la musique rock et le heavy metal comme l’espéranto international des jeunes de notre époque (Steiner, Entretiens, p. 91). Or, cet espéranto porte une dimension religieuse manifeste, entre autres à travers l’usage fréquent d’images et de textes bibliques souvent passés au broyeur des guitares et des voix vociférantes. On peut se demander quelles figures construisent les fragments qui en résultent, souvent irrévérencieux voire scandaleux pour plusieurs. À travers les violences que le rock et surtout le métal infligent au texte biblique, faut-il voir des attaques contre la Bible et contre Dieu, comme le croient plusieurs chrétiens, ou, au contraire, un respect profond de la dynamique de ce texte et un usage légitime de celui-ci ? Davantage portée par la seconde hypothèse, notre communication vise à identifier les usages et les fonctions religieuses de la Bible dans la musique rock.

 

 

 

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François Nault

Bris-collages thé-logiques : à partir d’un récit de Georges Perec

 

L’auteur propose une lecture théologique d’un récit de l’écrivain Georges Perec intitulé « Les lieux d’une ruse », où Perec décrit l’analyse qu’il a faite entre 1971 et 1975. Ce récit, au statut hautement ambigu (entre la littérature et l’autobiographie, entre la fiction et le réel), sera mis en parallèle avec un texte classique de l’ethnologie contemporaine, le chapitre inaugural de La pensée sauvage de Claude Lévi-Strauss. L’hypothèse de lecture est que la démarche analytique décrite par Perec et le mode de fonctionnement de la pensée mythique tel que le reconstruit Lévi-Strauss présentent des analogies frappantes avec le travail du théologien chrétien.

 

 

 

 

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Anne Pasquier

Des enfers : éloge des lieux communs

 

Une oeuvre en particulier, le Journal de Satan de Léonid Andreïev, sert de point de départ pour une réflexion sur le démoniaque et les enfers dans la littérature moderne. La persistance de ces thèmes mythiques est étonnante si l’on songe que le diable est devenu en quelque sorte un fossile théologique. Non seulement se réduit-il à un thème littéraire, mais les mythes qui l’accompagnent sont repris sous une forme fragmentaire. La persistance dans des oeuvres nouvelles de fragments anciens extraits de la tradition chrétienne est paradoxalement un désir de refléter le réel, ce qui permet une réactualisation de ces images mythiques.

 

 

 

 

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Danielle Thibault

Bricolage intertextuel : des figures théologiques

dans la théorie du langage contemporaine

 

Il y a de nombreux bricolages de fragments judéo-chrétiens dans la culture populaire et artistique actuelle. Mais, et ceci a peut-être été moins observé, il y en a aussi dans la culture scientifique. Le discours de la théorie du langage use de figures théologiques, devenues culturellement incongrues mais qui prennent un relief pertinent dans leur nouveau contexte. Ces résurgences sont significatives, et pour la théologie, et pour l’épistémè contemporaine, parce qu’il y a là non pas seulement métaphore d’usage mais congruence de signification dans les deux champs. Jusqu’à ce qui constitue un sommet, probablement encore inconscient actuellement dans la théorie du texte : la sécularisation de concepts et figures théologiques, sans perte de sens.

 

 

 

 

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Jean-Sébastien Trudel

Art et transcendance : masques du désir impossible

 

Le seul bricolage essentiel est impossible. La conception de la littérature de Maurice Blanchot le manifeste. Mais cela suppose d’abord un examen des rapports entre l’art et une transcendance qui ne soit pas un prolongement de l’immanence. À partir de là, l’auteur montre comment l’humain advient comme sujet en posant un Autre irréductible aux représentations qu’il s’en fait, et passe ainsi d’une logique mortifère de la satisfaction à une paradoxale logique du désir. La nécessité d’inventer l’Autre, à la lumière des réflexions d’Octave Mannoni et de Georges Didi-Huberman, semble déjà supposée par le langage et le regard du sujet.

 

 

 

 

 

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Ria Van den Brandt

« …comme dans mille éclats d’un miroir » :

le « bricolage » d’Etty Hillesum

 

Van den Brandt considère le journal et les lettres de la Juive néerlandaise Etty Hillesum, rédigés entre 1941 et 1943, comme un « bricolage » très réussi dans les années quarante aux Pays-Bas. L’article montre la « mentalité bricoleuse » de l’auteur dans son contexte littéraire-culturel. Les « mille éclats » dans l’œuvre d’Etty Hillesum reflètent une histoire d’une humanité vécue, contée et re-contée pour confronter la civilisation avec ses propres ressources, inspirations et connaissances vitales.

 

 

 

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Alain Faucher

L’évolution du discours chrétien dans les expositions majeures du tournant du millénaire (1998-2002)

 

En cinq ans, trois expositions de calibre international et universel ont été présentées en Europe. Chacune comportait au moins une présentation du christianisme, orchestrée par une ou plusieurs instances officielles. Après une rapide mise en contexte, l’article décrit le type de présentation esthétique mis en œuvre. On détecte des liens de filiation ou des ruptures entre les stratégies de communication adoptées d’une exposition à l’autre. On qualifie ces types à l’aide de quelques catégories inspirées de l’exégèse sociocritique américaine. En rétrospective, on examine si semblable évolution s’est jadis manifestée au fil de l’histoire des expositions internationales. L’article propose enfin quelques hypothèses quant au sort à moyen terme des deux modèles de mise en discours repérés au tournant du millénaire.

 

 

 

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Pierre Noël

La transformation du religieux dans le paysage architectural : fragmentation ou reconstruction?

 

Pourquoi les fidèles abandonnent-ils leur lieu de culte ? La réponse la plus courante consiste à pointer du doigt la sécularisation et la déchristianisation croissantes de nos sociétés. Néanmoins, plus profondément, il faut s’interroger à savoir si cela pouvait résulter des lieux de culte eux-mêmes qui ne parviendraient plus à être signifiants pour les fidèles d’aujourd’hui. C’est cette question que nous explorons dans le présent article. Plus précisément, nous cherchons à voir comment l’architecture religieuse moderne a introduit plusieurs ruptures entre les communautés et les édifices de culte ; ruptures qui seraient partiellement responsables de la situation actuelle. Ensuite nous analysons brièvement quelques solutions proposées par l’architecture postmoderne.

 

 

 

 

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Michel Campbell

Pour un coming-out du bricolage voire du bricolage chrétien

 

Le terme même de « bricolage » employé dans le titre de cette réflexion collective trahit au fond la difficulté pour le catholique, placé sous le regard normatif et surplombant du maître, à dire les modalités concrètes de sa foi, à se réclamer ouvertement d’une démarche croyante qui, pour rester vivante, reprend, réaménage, joue avec le sens de sa tradition et, ce faisant, échappe au contrôle de la censure. À cet égard, le cinéma qui, d’entrée de jeu, a été perçu par les spectateurs comme un libre jeu fictionnel et senti par les autorités ecclésiastiques comme une alternative menaçante à son propre monopole du sens, constitue un cas d’espèce qui illustre la tension entre l’appropriation du sens par le croyant et sa gestion par les instances régulatrices et détentrices de la vérité dans l’Église.

 

 

 

 

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Richard Patry

La métaphysique d’un « mécréant » :

Le Père et le Fils dans l’œuvre de Jacques Ferron

 

Jacques Ferron se présente comme un « mécréant » ou un « athée » dans ses œuvres polémiques ou de fiction. Il y évoque pourtant Dieu et les questions de religions de façon récurrente : par la présence marquée de personnages religieux dans les récits ou les textes polémiques, ainsi que par l’expression d’une pensée plus directement concernée par la spiritualité et la métaphysique. Le présente étude est consacrée à cette seconde dimension. Nous y voyons tout d’abord quelle relation Jacques Ferron entretient avec le Père et le Fils au sein de la Trinité, et que cette réflexion foncièrement métaphysique conduit l’auteur sur la voie d’un questionnement de nature identitaire concernant le rapport du sujet à soi-même et à autrui. C’est dans la quadrature de cette difficile problématique à double face, et après une touche d’originalité de la part de l’auteur, que l’idée de Dieu finira par trouver une place exaucée dans l’univers ferronien, sur terre et au sein de l’humanité.

 

 

 

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François-Emmanuël Boucher

Le Libéria de la guerre civile : magie, religion et pouvoir

dans Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma

 

Dans cet article, j’analyse la manière dont la magie, et plus particulièrement les sacrifices, les rituels initiatiques, les gris-gris et les paroles incantatoires, sont utilisés par les personnages d’Ahmadou Kourouma pour sublimer et justifier les guerres et la quête de pouvoir, que cette dernière soit monétaire ou politique. Dans Allah n’est pas obligé, Kourouma tente de décrire l’état d’esprit des enfants soldats que l’on retrouve dans différents conflits ethniques au Libéria et au Sierra Léone. La vie du jeune Birahima s’avère un voyage initiatique où la découverte de la puissance du gri-gri est indissociable de celle du kalachnikov. Les enfants soldats s’approprient le pouvoir temporel au même rythme qu’ils approfondissent les rituels et la magie. Dans la façon dont Kourouma présente la guerre, la magie occupe une place paradoxale, car elle est, finalement, à la fois mensongère et essentielle, autant illusoire qu’indispensable pour tous ceux qui font profession de braver la mort.

 

 

 

 

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André Corten

Afrique du Sud : les pentecôtismes dans le recodage du politique par le religieux

 

Un règlement rapide et inattendu est intervenu en Afrique du Sud, théâtre d’un conflit apparemment sans issue. Malgré les inégalités raciales persistantes au niveau économique, une mutation politique s’est produite : un changement de langue politique. Ce changement a été rendu possible par un recodage du politique par le religieux, en partie réalisé par le travail symbolique de la Commission Vérité et Réconciliation. La thèse de ce texte est que les Églises « progressistes » ont permis ce recodage mais que ce sont les Églises de type pentecôtiste, ayant pourtant été favorables au statu quo durant la période d’apartheid, qui l’ont rendu performatif.

 

 

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