Yves Saoût,
2000, Je n’ai pas écrit l’Apocalypse pour vous faire
peur ! Par Jean de Patmos, Paris, Bayard, 226 p.
Le
Dragon rouge-feu, la Bête et son chiffre mystérieux, les quatre
cavaliers, les 144 000 marqués du sceau, les sept trompettes, les
sept coupes, les quatre Vivants, le règne des mille ans... Tous ces
personnages et thèmes, qu’on retrouve dans le livre qui
clôture la Bible, ont suscité les interprétations les plus
diverses. « Je n’ai pas écrit l’Apocalypse pour vous
faire peur », nous dirait sans doute Jean de Patmos s’il
revenait aujourd’hui commenter son ouvrage rédigé il y a
près de deux millénaires. C’est pourtant ce qu’on
pourrait croire, si on donnait raison à certaines lectures
fondamentalistes qui y voient une description des fléaux qui
s’abattront bientôt sur l’humanité. C’est pour
contrer ce genre de « lectures littéralistes qui
déforment jusqu’au texte littéral », mais aussi
pour inviter le lecteur non initié à jeter un regard
éclairé sur un livre de tout temps controversé,
qu’Yves Saoût emprunte la plume du prophète de Patmos et le
fait expliquer lui-même les circonstances qui l’ont amené
à rédiger son livre mystérieux. « Je vais vous
donner les clés... »
« J’ai
écrit mon livre pour donner espérance à mes frères
et sœurs menacés par une énorme puissance
oppressive », dirait l’auteur de l’Apocalypse. Cette
puissance, c’est Rome, la ville aux sept collines, la
« Bête aux sept têtes » qui, sous
l’égide de Satan, le « Dragon », impose
à ses sujets le culte impérial, la « seconde
Bête ». C’est en Asie mineure, dans les environs de
Pergame, là où se trouve « le trône de
Satan », que cette situation touchait le plus les chrétiens
pour qui seul le Christ, l’« Agneau comme immolé »,
est digne de recevoir le titre Dieu et Seigneur usurpé par l’empereur de
l’époque, probablement Domitien. La communauté
chrétienne, les « sept Églises »,
était dans une position délicate ; certains chrétiens
s’inclinaient, alors que d’autres, refusant d’adorer Rome et
l’empereur, étaient persécutés. C’est dans ces
circonstances que Jean le prophète, lui-même
persécuté pour sa foi au Christ, adressa à ses
« compagnons dans l’épreuve » un message
d’espérance qu’il affirme avoir reçu de l’Ange
de Dieu alors qu’il avait été déporté sur
l’île de Patmos : persévérez, car le Mal sera
bientôt vaincu par la puissance du Christ que la Résurrection a
déjà fait victorieux.
Évidemment,
faire parler Jean de Patmos peut poser quelques difficultés, notamment
lorsque vient le temps d’aborder les éléments de
l’Apocalypse dont l’interprétation ne fait pas l’objet
d’un consensus chez les spécialistes. « Mon
commentateur [l’auteur] préfère telle
explication... ». Si l’auteur n’évite pas
d’aborder les passages dont la compréhension est toujours
débattue, là n’est pas sa préoccupation principale.
Il s’agit bien d’un ouvrage d’introduction qui
s’adresse au grand public. En vingt-huit courts chapitres, l’auteur
dresse la toile de fond historique de la rédaction de
l’Apocalypse, initie le lecteur au langage symbolique utilisé par
son rédacteur et montre comment celui-ci exploite, sans toutefois
s’y limiter, la richesse de certains thèmes qu’on retrouve
dans divers livres de l’Ancien Testament (Genèse, Exode,
Jérémie, etc.) et dans d’autres écrits de
l’époque (IV Esdras, les écrits qumraniens, etc.). Quelques
interprétations suscitées par certains passages de
l’Apocalypse au cours de l’histoire sont signalées, parfois
commentées, que ce soit celles des Pères de l’Église
ou de sectes modernes.
L’auteur
suggère une actualisation modérée et humaniste de divers
passages ou thèmes de l’Apocalypse, essayant de demeurer dans
l’esprit de Jean de Patmos. Ainsi, notre
« Bête », aujourd’hui, serait peut-être
les pouvoirs oppressifs, politiques et économiques. L’auteur
indique toutefois les limites d’une telle entreprise. L’Apocalypse,
comme d’autres écrits, bibliques ou non, a le pouvoir
d’inspirer des lecteurs d’époques diverses et peut
constituer pour certains chrétiens une source de motivation à la
lutte contre l’injustice — l’auteur tire ses exemples surtout
des chrétiens d’Amérique du Sud. Mais le risque est
toujours grand de tomber dans la spéculation maladroite et les
interprétations fantaisistes. Il faut toujours retenir que Jean de
Patmos pensait à des réalités de son époque,
qu’il s’adressait à des destinataires précis et que
son ouvrage est le produit d’une situation historique
particulière. C’est souvent ce qu’oublient certains
commentateurs ayant tendance à verser dans
l’ésotérisme. L’auteur ponctue son ouvrage par
plusieurs exemples de lectures fantaisistes, parfois comiques, parfois ayant eu
des conséquences tragiques.
On
pourrait trouver le style pseudépigraphique un peu agaçant
à la longue, et le lecteur cherchant des analyses
détaillées restera évidemment sur sa faim. Cependant,
rédigé dans un langage simple et avec un souci de vulgarisation,
l’ouvrage constitue un bon petit livre d’introduction à la
lecture et à l’actualisation de l’Apocalypse, et il plaira
certainement à ceux qui ne connaissent la célèbre
Apocalypse de Jean de Patmos que par la littérature à bon
marché ou les productions hollywoodiennes qu’elle a
inspirées.
Chrystian Boyer
Université du Québec à
Montréal