Philippe Breton, 2000, Le culte de l’Internet. Une menace pour le lien social ?, coll. « Sur le vif », Paris, La Découverte, 125.p.

 

 

      Paru à l’automne 2000, Le culte de l’Internet pose un regard critique sur les nouvelles formes de religiosité portées par la cyberculture. Constatant la polarisation des discours entre, d’une part, les partisans du tout-Internet et, d’autre part, les technophobes, Philippe Breton amorce son analyse en déplorant le peu de place laissée dans le débat public à ceux qui sont en faveur d’un usage socialement raisonné d’Internet.

      Se penchant sur le discours des fondamentalistes du tout-Internet, il découvre un univers de croyances au sein duquel le Net se présente comme l’ultime voie vers une unification spirituelle des consciences. Creusant jusqu’aux racines de ces croyances, il remonte à la cybernétique et à la philosophie évolutionniste de Teilhard de Chardin, où le fondement religieux des sources d’inspiration de la cyberculture apparaît clairement. Dans l’un de ses précédents ouvrages, soit L’Utopie de la communication, Philippe Breton avait déjà analysé comment le modèle informationnel mis de l’avant par Norbert Wiener rompait avec la tradition héritée de l’humanisme chrétien en faisant éclater les frontières ontologiques entre humain et machine. Il montrait en somme qu’avec la cybernétique, l’information devient la valeur première, la source même de l’univers dont l’entropie constitue la menace inéluctable. On comprend ainsi que, dès ses origines, le projet d’établir une « société de l’information » s’accompagne d’une série de croyances, allant du déni du corps à la transparence informationnelle, en passant par un fort évolutionnisme pro-technologique. Si ces convictions sont clairement affichées par les philosophes du cyberespace tels Pierre Lévy et Philippe Quéau, l’auteur en relève aussi des traces chez bon nombre de politiciens et d’entrepreneurs, auxquels il se réfère pour étayer sa thèse.

      Sans être codifié et pleinement organisé, le culte voué à l’Internet se caractérise par un rejet de toute médiation (État, école, etc.) au profit d’un lien social instantané à travers le réseau. Comme le souligne justement Philippe Breton, cette immédiateté du lien social suppose toutefois l’abolition des formes de socialité axées sur la rencontre interpersonnelle directe. Considérée comme une nouvelle étape de l’évolution, l’intelligence collective est au cœur de cette nouvelle religiosité. Elle correspond à l’attente d’une fusion spirituelle des identités interconnectées.

      L’auteur insiste sur le fait que cette nouvelle forme de religiosité s’éloigne considérablement des grandes religions monothéistes propres à l’Occident. Essentiellement non-déiste, elle s’alimente autant des spiritualités orientales que de la tradition gnostique. À ce sujet, Philippe Breton trace des liens fort révélateurs entre ces spiritualités anciennes et le modèle informationnel hérité de la cybernétique.

      Ouvertement polémique, Le culte de l’Internet soulève la question de l’héritage humaniste face à une religiosité entièrement axée sur l’adaptation technologique. Lorsqu’on connaît le lien étroit existant entre le développement des nouvelles technologies de l’information et la mondialisation des marchés, on est effectivement en droit de s’inquiéter des conséquences sur le lien social d’une telle religiosité pro-technologique. C’est ce pourquoi l’auteur fait appel à une laïcisation des débats sur ces questions.

 

Céline Lafontaine

Université de Montréal