Marcel Jacques Dubois. 1996. Paradoxes et mystère d'Israël. Paris: Parole et Silence, 110 p.



Comme l'indique le titre, ce petit livre se propose de scruter les paradoxes du destin mystérieux d'Israël et d'en considérer la signification à la lumière de la foi. Pour ce faire, Marcel Jacques Dubois, dominicain vivant à Jérusalem depuis plus de trente ans et actuellement professeur de philosophie à l'Université hébraïque de Jérusalem, a simplement compilé, sans aucune retouche, différents textes dont certains avaient déjà été publiés depuis quelques décennies.

Le premier chapitre, intitulé «Des paradoxes au mystère d'Israël», reproduit un article paru en 1964 dans le bulletin de la Maison Saint Isaïe. Dans ces pages, l'auteur énumère et commente les nombreux paradoxes d'Israël: un pays parmi les plus vieux de la terre, mais un jeune État, un pays où se rencontrent un capitalisme efficace et un socialisme le plus organisé, un pays trop neuf et trop pauvre, un pays où on ne compte pas moins de cent dix nationalités, un pays très largement financé par des contribuables qui demeurent à l'étranger, etc. Ces quelques paradoxes rapidement commentés par l'auteur servent en quelque sorte d'introduction au mystère d'Israël, lequel est examiné plus directement dans les chapitres qui suivent.

Le second chapitre, qui a pour titre «Un regard chrétien sur le judaïsme, les Juifs et Israël», a été rédigé en 1976 en vue d'une conférence pour un auditoire juif. Il pourrait s'intituler, selon l'auteur, «Pourquoi j'aime Israël?» (p. 48). En réalité, le style de ce chapitre est plus proche du témoignage que de la conférence universitaire. Après avoir insisté sur le fait qu'il ne fallait pas confondre Israël, les Juifs et le Judaïsme, l'auteur rend compte de l'existence juive à l'aide de quatre couples fondamentaux: religion-nation, Israël-Diaspora, particulier-universel et foi-observance. De ces quatre couples, le premier et le dernier retiennent particulièrement son attention. Le dernier, parce qu'il veut montrer que le judaïsme relève plus d'une expérience existentielle que d'un système théologique. Dit autrement, le judaïsme est plus une orthopraxie qu'une orthodoxie. Le premier, parce qu'il est, selon l'auteur, le plus fondamental, le plus proche de l'essence du judaïsme (p. 56). Bien entendu, de nombreux Juifs ne partageront pas cette vision. En effet, la nation, et quelle que soit la façon dont on comprenne ce mot, ne saurait constituer une partie essentielle du judaïsme, puisque Israël, plus que tout autre peuple, comme le reconnaît d'ailleurs l'auteur à la p. 19, est une entité internationale. De même, le mot «ethnie» ne saurait être un trait majeur du judaïsme, puisque dès l'antiquité des personnes de nombreuses ethnies et de nombreux peuples sont devenues juives par mariage ou par conviction. En d'autres mots, le judaïsme est manifestement multiethnique. Enfin, force est de constater que l'État ne forme qu'une composante mineure du judaïsme, puisque depuis la destruction du royaume du Nord en 721 avant notre ère, l'exil babylonien en 587 avant notre ère et plus particulièrement la destruction de Jérusalem en l'an 70, la très grande majorité des Juifs ont vécu en dehors d'Israël.

Quoi qu'il en soit de cette prétendue essence du judaïsme qui réside dans le binôme religion-nation, l'auteur termine ce chapitre par quelques réflexions sur l'élection d'Israël. Ce thème est repris et développé dans le troisième chapitre qui paraît pour la première fois. Non seulement ce chapitre présente-t-il certaines redites par rapport au précédent, mais un manque de cohésion se fait sentir ici et là. Par exemple, à la page 70, l'auteur signale qu'il refuse de donner une réponse au débat délicat et difficile qui divise les théologiens chrétiens au sujet de la permanence même de l'élection du peuple juif. Or, à la p. 86, une simple citation de Paul et du pape Jean-Paul II lui suffit pour résoudre cette épineuse question! Par ailleurs, pas un mot n'est dit sur la difficulté actuelle d'insérer la dimension théologique et théocentrique de l'élection dans un contexte social séculier et sécularisé. Pas un mot n'est dit sur le fait que ce thème de l'élection constitue actuellement un obstacle au dialogue oecuménique entre Juifs et Chrétiens, lesquels, depuis Paul, ont fait éclater son cadre ethnocentrique. Pas un mot n'est dit des dérives idéologiques et ségrégationnistes causées par l'emploi de ce thème de la part de certains groupes juifs. Ces dérives ne sont pourtant pas étonnantes lorsqu'on étudie les origines thoraïques de ce thème. En effet, les textes du Tanak qui ont donné naissance à ce thème cherchaient avant tout à répondre à une crise identitaire, provoquée par le démembrement du peuple et l'apparition du pluralisme religieux et culturel...

Le second thème traité dans ce chapitre est l'antisémitisme. Mis à part la note 2 de la page 82 où il signale que les instances de l'Église Catholique chargées des relations avec le judaïsme distinguent entre antijudaïsme (hostilité à motifs religieux envers les Juifs) et antisémitisme (hostilité fondée sur des considérations de race) - distinction quant à moi fort discutable -, l'auteur ne cesse d'utiliser la seule expression «antisémitisme», oubliant ainsi que les Palestiniens aussi, par exemple, sont des sémites! Mais ce problème n'est aucunement ressenti pour la simple raison qu'on ne retrouve pas une seule mention des Palestiniens dans ce livre! En fait, on ne retrouve qu'une seule allusion aux «voisins arabes» (p. 26), laquelle expression semble désigner les pays limitrophes à Israël et non les arabophones vivant depuis très longtemps en Israël! En ce qui concerne la ville sainte, l'auteur est d'avis que les Juifs ont reçu le don de Jérusalem, mais qu'ils ont le devoir de partager ce cadeau inestimable, devoir déjà accompli, souligne-t-il avec insistance aux pages 78-79, bien qu'il reconnaisse, très timidement et trop rapidement, que le peuple juif doit aller plus loin encore. En bref, à l'exception de ces deux remarques très tièdes et trop brèves, ce livre réussit un véritable tour de force qui témoigne d'un discours plutôt détaché de la réalité: parler d'Israël pendant plus de 100 pages en faisant abstraction des graves conflits qui opposent tragiquement depuis déjà plusieurs décennies le peuple juif et le peuple palestinien.

Enfin, l'holocauste est le troisième thème traité dans ce chapitre. Ce thème constitue également, avec l'antisémitisme (sic), le sujet du dernier chapitre, qui reproduit une communication donnée au colloque organisé par l'université de Tel Aviv, en avril 1995, sur le thème du «silence de Dieu». Si ce thème, incontournable pour quiconque entend réfléchir sur le mystère d'Israël, force l'auteur à tenir un discours plus incarné, son traitement m'a par ailleurs laissé pantois. D'abord, qualifier d'holocauste, comme il le fait tout au long du chapitre 3, le drame des Juifs de la deuxième guerre mondiale, n'est-ce pas supposer que le génocide fut un sacrifice et que les SS en furent les prêtres? Parler du génocide en terme d'holocauste, n'est-ce pas aussi automatiquement lui donner un sens religieux et du même coup occulter l'irrationalité du scandale? Certes, dans son dernier chapitre, il utilisera davantage le terme de Shoa, «catastrophe», mais ses réflexions n'en resteront pas moins discutables, voire troublantes. Par exemple, s'il est vrai, comme le croit l'auteur, qu'«on a beaucoup parlé, à tort et à travers, de l'impossibilité de la théologie après Auschwitz» (p. 109), j'ajouterais pour ma part qu'on a peut-être aussi élaboré trop rapidement une théologie - pour ne pas dire une pseudo-théologie - de la Shoa. C'est du moins ce que je crois lorsque je lis que la Shoa se compare à la Croix (p. 97), qu'Auschwitz est le Golgotha du XXe siècle (p. 98), que la Shoa est une épiphanie (p. 99), etc.

En résumé, ce petit livre aurait sans doute été moins décevant si l'auteur avait retravaillé ses anciennes publications à la lumière des nouvelles recherches et s'il avait pris en considération les nouvelles situations politico-religieuses d'Israël qui ont vu le jour ces dernières années. Ainsi, le thème des paradoxes et du mystère d'Israël appelle pour le moins de nouvelles recherches.


Jean-Jacques Lavoie
Université du Québec à Montréal

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